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Eadweard Muybridge, l’homme qui dompta le mouvement 


Bien avant Thomas Edison et les frères Lumière, Eadweard Muybridge (1830-1904) est l’un des pionniers du cinéma, peu connu du grand public. Guy Delisle corrige l’oubli et tire le portrait d’un photographe hors norme.

Sur la couverture de l’album, avec son air renfrogné, comme sur un autoportrait situé en fin d’ouvrage, datant de 1872 et sur lequel il pose devant un arbre gigantesque, on comprend mieux pourquoi certains de ses contemporains le voyaient comme «un vieil excentrique, habillé comme un clochard».

C’est vrai, le Britannique Eadweard Muybridge n’a vraiment pas l’air commode. Mais au-delà de son apparence négligée, de son côté taiseux et de son impulsivité, son apport au monde de la photographie et du cinéma reste des plus essentiels. C’est ce que rappelle à juste titre Guy Delisle, auteur pourtant plus habitué à l’exercice autobiographique, en dehors de l’excellent S’enfuir, récit d’un otage (2016).

Dans ce portrait ultradocumenté, l’illustrateur québécois arrive néanmoins à se mettre en scène, sur trois-quatre cases, pas plus. Suffisant en tout cas pour parler de sa découverte du fantasque artiste, quand il était encore étudiant. Pour lui, comme pour toute autre personne qui travaille dans l’animation, deux ouvrages sont en effet incontournables, Animals in Motion et The Human Figure in Motion, signés Eadweard Muybridge, et constamment réimprimés depuis plus de 120 ans. «Pour comprendre la mécanique, l’équilibre et le poids du mouvement, on n’a pas fait mieux comme référence», écrit-il. C’est que l’homme y a consacré sa vie, folle à plus d’un titre.

Celle-ci débute par un voyage vers les États-Unis, terre de toutes les promesses en cette deuxième moitié du XIXe siècle pour lui et tant d’autres. Il sera ainsi tour à tour libraire, paysagiste et banquier, avant de succomber à la mode de l’époque pour la photographie, alors en plein boom.

Rapidement, il va se faire un nom par ses reportages en pleine nature, malgré la complexité de la tâche en raison d’un matériel souvent encombrant et de techniques de développement encore à leurs balbutiements. Une notoriété qui va le rapprocher d’un certain Leland Stanford, magnat du chemin de fer et qui, comme de nombreux hommes avant lui, veut immortaliser le cheval au galop avec cette question, jamais résolue : y a-t-il un moment où les quatre membres de l’animal quittent le sol en même temps?

Grâce à leur collaboration (qui s’étalera sur dix ans), son financement sans limites et au gré des avancées scientifiques, Eadweard Muybridge va s’y employer sans relâche, avant d’y parvenir le 15 juin 1878 à Palo Alto (Californie). La question est réglée et la presse, alors présente, parlera de «miracle».

Ce ne sera pas le premier pour l’homme : il échappe à la mort dans un accident de diligence et à la potence après avoir tué de sang-froid, d’une balle en plein cœur, l’amant de sa femme. De rescapé à meurtrier, il va ensuite devenir inventeur (du projecteur notamment), puis conférencier avec ses trouvailles «au retentissement mondial», dont certaines sont toujours utilisées aujourd’hui (comme la technique dite du «bullet time» dans la scène d’anthologie du film Matrix).

Si Guy Delisle s’attache, de son trait simple et dans une approche chronologique, soutenue à chaque chapitre par de vrais clichés historiques, à dépeindre ce personnage hirsute et hors norme – qui n’hésitait jamais à lui-même se mettre en scène pour les nobles besoins de la science – c’est aussi pour raconter une époque folle avec ses artistes et ses précurseurs (Edison, Rodin, Degas, Tesla, les frères Lumière), ses coups bas dans le milieu de l’invention, ses créations qui vont amener à l’émergence du cinéma (du daguerréotype au cinématographe), ses modes (comme celle, étrange, des portraits post mortem de défunts mis en scène comme des vivants) et ce bras de fer entre l’art, la technique et le divertissement.

C’est d’ailleurs tout l’objet d’une exposition, toujours en cours, au Centre-Pompidou à Metz (. On y retrouve évidemment l’œuvre phare d’Eadweard Muybridge, le premier à avoir «arrêté le temps» et su saisir toute «la beauté du mouvement».

Pour une fraction de seconde, de Guy Delisle. Delcourt.

L’histoire

1855. Eadweard Muybridge, un jeune Anglais qui ne s’intéresse pas particulièrement aux chevaux, émigre en Californie. Passionné par un procédé technique qui en est à ses débuts, la photographie, il va rapidement devenir un des plus célèbres photographes de son époque.

Aidé par l’homme le plus riche des États-Unis, il va réussir un exploit inédit : fixer sur pellicule la course d’un cheval au galop.