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Quand le «Petit Nicolas» parle le «platt» d’hier


De gauche à droite : Jean-Marc Becker, Marianne Haas-Heckel, Jean-Louis Kieffer. «Autrefois, tout le monde parlait en ‘platt’. Et pour les mineurs d’origine étrangère, c’était leur espéranto» (Photo : Antoine Pétry)

L’œuvre de Sempé-Goscinny vient d’être traduite par trois représentants des différents dialectes de Lorraine qui composent le platt mosellan. L’occasion de défendre un pan de la culture linguistique régionale, certes menacée par l’oubli.

Ils nous parlent d’un temps que les moins de… cinquante ans, souvent, ne peuvent pas (bien) connaître. Marianne Haas-Heckel, Jean-Louis Kieffer et Jean-Marc Becker n’en sont pas moins convaincus : le platt mérite qu’on continue de lui porter davantage crédit.

«Les» platts, devrait-on d’emblée rectifier, à entendre ce dernier, ancien professeur des écoles et actuel président de l’association «Wéi laang nach ?» détailler les trois composantes.

À ses yeux, elles constituent le patrimoine de la langue historique de Lorraine, concentré sur le périmètre de la Moselle : les franciques rhénan (le plus à l’est autour de Forbach), mosellan (au centre dans le pays de la Nied) et luxembourgeois (autour de Thionville).

300 000 pratiquants du platt ?

Les trois auteurs ont cosigné la traduction en platt du «Petit Nicolas», œuvre littéraire enfantine de Sempé et Goscinny. Toutes les pages de cet ouvrage des années soixante sont revisitées à la sauce des langues aujourd’hui lointaines pour les jeunes générations.

Un regret pour les trois auteurs, conscients que les estimations d’un total de pratiquants autour de 300 000 paraissent exagérés. Leur vécu, au milieu auprès de leurs contemporains mosellans, les mène à atténuer sensiblement ce nombre.

«C’était l’espéranto des mineurs étrangers»

Chacun a assuré le tiers de la traduction du «Petit Nicolas» , avec l’espoir de contribuer à tisser un lien avec de jeunes générations peu au fait des particularités linguistiques d’hier en Lorraine.

Et pourtant… «On oublie aujourd’hui que c’était la langue utilisée par les ouvriers d’origine étrangère qui venaient travailler dans les mines de la région. Qu’ils soient portugais, algériens, polonais, italiens, tout le monde parlait en platt», se souvient Marianne Hess-Heckel. «C’était leur espéranto».

Le platt, «on ne va pas me dire aujourd’hui que cela ne vaut rien»

Leurs parents et leurs aïeuls utilisaient aux aussi d’abord ce dialecte, au quotidien. Davantage que la langue française. Tout a changé après la guerre, lorsque les autorités ont entamé un travail de reconquête linguistique, tentant d’effacer la présence allemande lors des annexions.

«À l’école» se souvient Jean-Louis Kieffer, «on demandait aux enseignants de faire circuler un jeton dans les mains des enfants employant un mot de ‘platt’. Il le donnait ensuite à celui qui laissait échapper un terme à prescrire. À la fin de la journée, l’enfant qui se retrouvait avec le jeton était puni».

Alors le ‘platt’,  on ne va pas me dire aujourd’hui que cela ne vaut rien», poursuit l’ancien enseignant, par ailleurs auteur-écrivain. «J’ai appris à parler avec lui sur les genoux de ma maman».

Les trois auteurs réfutent le procès d’une «nostalgie désuète» lui préférant celui de «respect du patrimoine linguistique». À travers cet ouvrage, ils tentent modestement, «faire bouger un peu les lignes», espérant davantage de place dans les écoles, mais aussi sur les chaînes de télévision locales.

Tiré à 1 000 exemplaires, «De Nickelsche» (Le petit Nicolas, Collection Langues de France, 15 euros) devrait être disponible dans les 153 bibliothèques rattachées au conseil départemental de Moselle, et dans les offices de tourisme.

Antoine Pétry
(Le Républicain Lorrain)