La productrice et cinéaste indienne Kiran Rao, dont le film Lost Ladies a été choisi pour représenter son pays aux Oscars, juge que l’«heure est venue» pour les réalisatrices du sous-continent indien, «trop longtemps silencieuses», d’êtres reconnues à l’international.
Alors que sa production dépasse celle d’Hollywood en volume, le cinéma indien n’a jamais remporté d’Oscar dans la catégorie du meilleur film étranger – film produit hors des États-Unis dans une langue autre que l’anglais –, où il a seulement été nommé trois fois. Et malgré sa popularité, la gigantesque industrie cinématographique de Bollywood n’a pas encore réussi à s’imposer lors de cette cérémonie, avec seulement dix statuettes collectées depuis 1957.
«La participation de l’Asie aux Oscars s’est renforcée» ces dernières années, souligne Kiran Rao, citant le triomphe du film sud-coréen Parasite (six Oscars dont celui de meilleur film en 2019) ou le sacre de l’actrice malaisienne Michelle Yeoh dans Everything Everywhere All at Once en 2023. Mais les films du sous-continent indien, région qui inclut l’Inde et le Pakistan notamment, «n’ont pas eu autant de représentation», alors «que nous avons beaucoup à offrir au monde avec nos histoires et nos genres cinématographiques», défend la réalisatrice de 50 ans.
Sensibiliser aux conditions de vie et aux luttes des femmes indiennes
Son film Lost Ladies (Laapataa Ladies en hindi) a été proposé par l’Inde pour concourir dans la catégorie «meilleur film étranger» aux Oscars. L’Académie des Oscars annoncera le 17 janvier 2025 quels sont les pays nommés dans cette catégorie, avant la cérémonie en mars prochain. Le film raconte l’histoire de deux jeunes mariées d’une région rurale, qui se perdent dans un train bondé et se retrouvent par erreur avec le mari de l’autre, au début des années 2000.
Leurs arrivées dans des familles qui ne sont pas les leurs vont pousser les personnages de cette comédie à s’interroger sur le mariage, la condition féminine et les normes conservatrices de l’Inde. Ce film, produit par Kiran Rao et son ex-mari Aamir Khan, star de Bollywood, suit le voyage de ces femmes «pour rentrer chez elles, mais aussi pour se trouver elles-mêmes et trouver le sens qu’elles veulent donner à leur vie», souligne la cinéaste.
La réalisatrice veut également faire de son film un outil de sensibilisation sur les conditions de vie et les luttes des femmes dans l’Inde d’aujourd’hui. Elle a tenu à projeter son film, sorti en mars en Inde, auprès de «communautés dans lesquelles les femmes peuvent avoir besoin de nouvelles idées, de solutions et d’encouragements» et «ne peuvent pas forcément aller au cinéma». Son film fait le choix d’évoquer les questions liées au patriarcat de «façon assez douce et inclusive, sans porter de jugement sur les décisions des femmes et la façon dont elles ont choisi – ou ont été forcées – de vivre leur vie».
C’est un moment spécial pour les femmes indiennes (…). Nous sommes restées silencieuses trop longtemps
Kiran Rao espère que son récit pourra «ouvrir une petite fenêtre» dans l’esprit des spectateurs et arrivera à «changer des mentalités très anciennes». «Les histoires de femmes doivent être plus visibles et les réalisatrices ont besoin de davantage d’encouragements», plaide la réalisatrice, originaire de Bangalore. Longtemps boudées par les Oscars, trois femmes seulement ont remporté le prix de la meilleure réalisation depuis la création de la cérémonie il y a près d’un siècle, et moins de 2 % des personnes nommées ont été des femmes de couleur, selon une étude de l’université californienne USC Annenberg.
Quelques mois avant la sélection de Lost Ladies, le film All We Imagine as Light, un film en langue malayalam de la réalisatrice Payal Kapadia (coproduit avec la France et le Luxembourg, notamment), qui dépeint l’amitié de deux infirmières à Mumbai, a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes.
«Enfin, notre heure est venue»
Pour concourir aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger, le Royaume-Uni a retenu Santosh, un polar en langue hindi de la réalisatrice anglo-indienne Sandhya Suri, qui raconte l’histoire d’une jeune veuve devenant policière à la place de son mari tué lors d’une émeute dans le nord de l’Inde.
«C’est un moment spécial pour les femmes indiennes. Enfin, notre heure est venue», se réjouit Kiran Rao. «J’espère que c’est le début d’un mouvement qui mettra en lumière de nombreuses autres histoires venues d’Inde, racontées par des femmes. Nous sommes restées silencieuses trop longtemps», ajoute-t-elle.