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Dr Pit Duschinger : «Commencer le dépistage à 40 ans serait une bonne chose»


Le Dr Pit Duschinger recommande de réaliser une autopalpation des seins une fois par mois, juste après les règles (Photos : fabrizio pizzolante)

En ce mois d’Octobre rose, le gynécologue et chirurgien rappelle l’importance de la prévention et de la sensibilisation autour du cancer du sein. Des contrôles ou gestes simples qui peuvent, selon lui, sauver des vies.

C’est le cancer le plus répandu chez les femmes au Luxembourg. Chaque année, selon la Fondation Cancer, le cancer du sein touche 565 nouveaux cas au Grand-Duché. Première maladie féminine dans le monde, près d’une femme sur huit en sera touchée au cours de sa vie. Très fréquente, cette maladie est aussi très meurtrière. Selon le service des statistiques de la direction de la Santé luxembourgeoise, sur 540 décès par cancer en 2022, le cancer du sein était responsable de 105 de ces cas. Pourtant, détectée tôt, cette infection sera guérie dans environ 90 % des cas. Mais, comme l’explique le Dr Pit Duschinger, le dépistage reste indispensable.

Quels sont les symptômes récurrents du cancer du sein qui doivent alerter les femmes?

Dr Pit Duschinger : Malheureusement, souvent, il n’y a aucun symptôme. En revanche, si un cancer du sein a eu le temps de grandir, une patiente pourra éventuellement le sentir sous forme d’un durcissement ou d’une « boule«  dans son sein. Parfois, il peut y avoir également des altérations au niveau de la peau comme une rougeur au niveau du sein que l’on appelle « une peau d’orange« . La rétractation du mamelon, une grosseur sous le bras ou un écoulement du mamelon sont aussi des signes qui doivent alerter. Cela ne veut pas dire qu’il s’agira forcément d’un cancer, mais il sera important d’en informer son médecin pour pouvoir réaliser au plus vite toutes les démarches diagnostiques.

Une palpation des seins réalisée une fois par an chez un médecin ou régulièrement chez soi peut donc vraiment aider à détecter le plus tôt possible un cancer du sein.

C’est quelque chose que je prêche depuis des années. Un gynécologue qui ne réalise pas cet examen des seins lors des contrôles annuels, même chez une jeune patiente, va forcément rater certains cancers (…). Pour l’autopalpation, le meilleur moment pour le faire est de l’effectuer tous les mois, juste après les règles. Avant les règles, cet examen n’est pas pertinent, car les seins seront plus sensibles et plus durs. Si on fait une palpation à ce moment-là, on risque de tomber sur des petits durcissements très irritants dans les seins, qui, la plupart du temps, ne sont pas inquiétants du tout.

Comment réaliser une bonne autopalpation?

On peut commencer par examiner le sein gauche de la main droite en faisant le tour de l’ensemble du sein, puis on passera dans le creux axillaire pour y faire également quelques tours de palpation douce. On poursuivra l’examen de la même façon du côté droit. Je recommande de faire cet examen d’autopalpation mensuel des seins à chaque patiente à partir de l’âge de 20 ans. Cet examen n’est ni invasif ni douloureux. Idéalement, l’autopalpation des seins doit se faire en position debout et allongée, car la position allongée peut permettre la détection d’anomalies différentes que la position debout.

La participation aux programmes de prévention n’est pas assez élevée

Il y a quelques mois, le ministère de la Santé a décidé de changer les âges de début et de fin de son programme de dépistage systématique du cancer du sein. Si jusque-là les patientes étaient appelées à participer au « programme mammographie«  de 50 à 70 ans, actuellement ces invitations sont envoyées aux patientes de 45 à 74 ans. Une grande avancée, selon vous?

Oui, clairement. Nous avons un rajout de neuf années de dépistage systématique, c’est énorme et ça sera très efficace pour la détection précoce de beaucoup de cancers du sein. Les statistiques internationales ont clairement montré que la plus grande incidence de cancers du sein se voyait entre 45 et 74 ans, d’où l’extension du « programme mammographie«  de 45 à 74 ans. Pendant de nombreuses années, ce programme de dépistage national commençait donc trop tard et s’arrêtait trop tôt. Entretemps, on s’est également aperçu qu’il y avait effectivement beaucoup de petits cancers du sein dans les dépistages hors « programme mammographie« . Donc, même si le dépistage systématique commence maintenant à 45 ans et s’arrête à l’âge de 74 ans, il faudra continuer les contrôles mammographiques avant et après l’âge recommandé. Je pense que de commencer cet âge du début des contrôles mammographiques à 40 ans aurait du sens, serait une bonne chose. Malheureusement, au Luxembourg, comme dans de nombreux autres pays, la participation à ces programmes de prévention n’est pas assez élevée. On est autour de 50 à 55 % de participation, alors qu’un vrai screening de dépistage devrait être aux alentours de 70 % pour être statistiquement valable.

Pour quelles raisons les femmes ne participent-elles pas à ces programmes de dépistage?

C’est une discussion que nous avons souvent au cabinet. Le « programme mammographie«  offre une double lecture des clichés mammographiques aux patientes. Celle-ci constitue bien évidemment un gain substantiel en sécurité de diagnostics faux négatifs. Cependant, cette double lecture, qui se réalise dans deux lieux différents, peut générer certains inconvénients pour les patientes. Dans le cadre de ce programme, la patiente va donc faire sa mammographie dans un des grands centres de mammographies agréés au Luxembourg. Si les deux médecins lecteurs de cette mammographie sont d’accord que, par exemple, une échographie mammaire sera nécessaire pour compléter le diagnostic, cette patiente devra retourner à l’hôpital pour réaliser cette échographie. Cette relation triangulaire peut embêter les patientes, parce qu’elles doivent d’abord aller voir leur médecin pour leur expliquer la situation, puis retourner à l’hôpital pour réaliser l’échographie. Pour les mammographies prescrites hors « programme mammographie« , le radiologue responsable décidera de l’utilité d’une échographie, voire d’une biopsie en cas de suspicion de cancer. Il pratiquera ces deux actes immédiatement après la mammographie, ce qui pourra sembler plus facile pour les patientes qui ne devront cependant jamais négliger l’avantage de sécurité de la double lecture de leurs clichés de mammographie dans le cadre de ce programme.

Aujourd’hui, de nombreuses avancées ont été réalisées au Luxembourg en matière de prévention et de dépistage du cancer du sein.

Depuis une quinzaine d’années, les autorités responsables ont en effet commencé à mieux soutenir les médecins qui voulaient faire une médecine de pointe. Aujourd’hui, nos cliniques sont toutes dotées de technologies très avancées dans le dépistage, en chirurgie et en traitements post-chirurgicaux. De plus, le Luxembourg est le seul pays de toute l’Europe à avoir équipé tous ses principaux hôpitaux d’un système de mammographie très performant, la tomosynthèse.

En plus des progrès technologiques, d’autres avancées au niveau chirurgical se développent également au Luxembourg.

La chirurgie du cancer du sein n’a pas arrêté de se perfectionner et de s’affiner. Le grand principe en chirurgie mammaire sera toujours le traitement oncologique correct avec un résultat chirurgical esthétique maximal. Pour cette raison, la chirurgie oncoplastique du sein est devenue une spécialité chirurgicale bien à elle et demande une formation en chirurgie esthétique et reconstructrice avant qu’un gynécologue ou un chirurgien ne puisse aborder le traitement chirurgical d’un cancer du sein de nos jours.

Malgré ces aspects positifs, voyez-vous de plus en plus de jeunes femmes être atteintes par le cancer du sein?

Je ne crois pas qu’il y ait plus de cancers du sein chez les jeunes patientes. On fait tout simplement un meilleur dépistage en commençant ce dépistage plus tôt. Quand on regarde les statistiques, elles n’ont pas bougé depuis 20-25 ans. Nous savons que dans une population féminine, une femme sur huit sera atteinte d’un cancer du sein. Le problème, c’est qu’il y a une quinzaine d’années, ces cancers étaient souvent dépistés très tardivement parce que la tumeur était déjà palpable lors d’une visite chez le gynécologue. Quand on compare les tailles moyennes des tumeurs qu’on opérait il y a 20 ans, celles-ci étaient de 15 à 20 millimètres alors qu’aujourd’hui, cette taille moyenne est tombée à cinq ou sept millimètres. D’où la nécessité de dépistages précoces!

Chez les jeunes patientes, on retrouve des formes très agressives, comme le triple négatif.

Ce sont en effet des tumeurs très agressives qui peuvent provoquer des métastases d’une façon très violente. Il vaut donc mieux les trouver rapidement. C’est vrai que nous en voyons beaucoup chez les jeunes, mais ce n’est pas systématique. Cela peut arriver à tout âge. Actuellement, je suis une patiente de 80 ans qui a un cancer du sein triple négatif (…). Malheureusement, les symptômes sont les mêmes que ceux d’un cancer canalaire ou lobulaire du sein.

Certaines femmes ayant d’importants antécédents de cancers du sein dans leur famille décident par prévention de réaliser une ablation des seins.

De manière générale, quand on voit qu’il y a une histoire familiale de cancers du sein très lourde, on sera très vigilants. Dans certains de ces cas, on doit réaliser des tests génétiques pour savoir si le risque de cancer du sein est vraiment accru. Si ces tests génétiques s’avéraient être positifs, la prise en charge des patientes concernées devra être discutée en milieu spécialisé entre généticiens, oncologues et chirurgiens pour trouver les meilleures solutions de surveillance ou de traitement prophylactique, comme la mastectomie sous-cutanée bilatérale avec reconstruction immédiate.

Pour les anciennes générations, se rendre chez un gynécologue représentait parfois un tabou. Est-ce le cas encore aujourd’hui?

À l’heure actuelle, c’est devenu tout à fait normal pour une jeune femme d’aller voir un gynécologue à 16 ou 17 ans. Il est vrai que dans le passé, beaucoup de femmes ne faisaient pas toujours leur contrôle annuel. J’ai rencontré beaucoup de vieilles dames qui venaient me voir pour un cancer du sein décelé chez un médecin généraliste. Quand je leur posais la question « Quand avez-vous vu pour la dernière fois un gynécologue« , elles me répondaient : « Mon fils cadet, il a quel âge déjà?« . Cela voulait dire que leur dernier rendez-vous remontait à la naissance de leur enfant, il y a 30 ans. Mais aujourd’hui, ce sont des situations qui restent assez rares. J’ai beaucoup de femmes de 60 ans qui consultent annuellement.

Durant la période covid, nous avons des femmes qui ne sont pas allées à un contrôle pendant plus de trois ans

Durant la crise sanitaire, de nombreuses femmes ont subi des retards de diagnostic. Les conséquences du covid sont-elles toujours présentes aujourd’hui? 

En effet, durant cette période, nous avons observé des cas de cancer plus évolués. Mais aujourd’hui, tout est réglé. Car les dépistages précoces ont heureusement repris après la crise sanitaire. Il est vrai que durant la période covid, nous avons des femmes qui ne sont pas allées à un contrôle pendant plus de trois ans. De ce fait, il y a eu certainement quelques catastrophes de prises en charge. Ces patientes ont sûrement eu besoin de prises en charge chirurgicales beaucoup plus lourdes que si le cancer avait été détecté plus tôt (…). Fort heureusement, aujourd’hui, ce cancer se guérit bien. Le taux de récidive est réduit. Mais malheureusement, il y a également dans le cancer du sein des métastases très tardives qui peuvent se mettre en route, surtout dans les os, le foie, le poumon ou le cerveau. C’est pour cela que l’on surveille les patientes après la fin de leur traitement initial pendant cinq ans, et ce, tous les six mois.

En ce mois d’Octobre rose, pourquoi est-il toujours important aujourd’hui de sensibiliser les femmes autour de la prévention du cancer du sein? 

La prévention restera toujours primordiale. Il ne faut plus qu’il y ait de tabou de parler du cancer du sein. C’est pour cela qu’avec l’association Europa Donna Luxembourg, nous faisons des conférences d’information pour le grand public avec pour but de diminuer la peur de ce cancer, de discuter des progrès médicaux dans le traitement de ce fléau, de montrer des résultats chirurgicaux encourageants et pour discuter de leurs craintes avec les patientes. Europa Donna organise également des conférences de sensibilisation dans de grandes firmes ou dans de grandes institutions comme la Cour de justice européenne. L’idée est que les auditeurs partent de cette manifestation, rassurés, calmes et surtout conscients de la nécessité d’un dépistage précoce.

Repères

État civil. Le Dr Pit Duschinger est né le 19 juillet 1957. Il est originaire de Luxembourg. Il est en couple et père de trois enfants.

Formation. Pit Duschinger a réalisé ses études de médecine générale à l’ULB à Bruxelles. Puis, il a effectué sa spécialisation en gynécologie-obstétrique pendant cinq ans en Allemagne. Après l’acquisition de son diplôme de spécialiste en gynécologie et obstétrique, il a entamé une formation en chirurgie oncoplastique du sein à Hanovre.

Carrière professionnelle. Après son assistanat en gynécologie, le Dr Pit Duschinger est devenu chef de clinique à Bonn, puis à l’université de Hanovre pour revenir à Luxembourg, son pays d’origine, en 1992. Depuis 2003, il est installé en tant que gynécologue-obstétricien et chirurgien du sein au centre hospitalier du Nord (CHdN) à Ettelbruck.

Spécialiste du cancer du sein. Le Dr Pit Duschinger s’est spécialisé au cours de sa carrière dans l’étude et l’analyse du sein et du cancer. Il est également chargé de cours associé à l’université du Luxembourg, maître de stage, membre de la Chambre des experts du Grand-Duché et président de la Société luxembourgeoise de gynécologie et d’obstétrique.

Association. Le Dr Pit Duschinger est membre depuis un an d’Europa Donna Luxembourg, l’ASBL qui accompagne les femmes atteintes d’un cancer du sein. Il intervient en tant que spécialiste du cancer du sein à l’occasion de conférences organisées par cette association. 

Pour le Dr Pit Duschinger, «de nombreuses avancées» en matière de dépistage du cancer du sein ont été réalisées au Luxembourg depuis une quinzaine d’années.