Le musée parisien raconte la folle histoire des fous dans l’art, depuis Jérôme Bosch jusqu’au personnage de Quasimodo. Du Moyen Âge au XIXe siècle, il a en effet beaucoup inspiré les artistes. Revue de détails.
Bouffon scatologique et tragique qui fascine autant qu’on le craint, le fou divertit, dénonce et inverse les valeurs : c’est ce que raconte une vaste exposition qui a débuté mercredi au Louvre, à Paris. Intitulée «Figures du fou, du Moyen Âge aux Romantiques», elle ne s’intéresse pas à la folie comme maladie mentale, mais s’interroge sur l’omniprésence de cette figure dans l’art et la culture occidentale. En s’achevant par le XIXe siècle et Gustave Courbet, «elle ouvre aussi sur des questions contemporaines et centrales sur la normalité et la marginalité comme celles de l’artiste», souligne Laurence Des Cars, présidente-directrice du musée.
Plus de 300 manuscrits enluminés, livres imprimés, objets précieux, tapisseries, peintures et sculptures, prêtés par quelque 90 institutions françaises, européennes et américaines, sont exposés. Parmi eux : des chefs-d’œuvre de Jérôme Bosch, dont La Nef des fous, d’autres de Bruegel le Jeune et l’Ancien, ainsi que des bronzes étonnants venus d’Allemagne, des gravures et des coffres en ivoire inspirés des romans chevaleresques et de l’amour courtois. Selon cette réunion, le fou est tour à tour celui qui divertit, met en garde ou inverse l’ordre établi.
Du marginal à celui qu’on écoute
Très reconnaissable à son bonnet aux oreilles d’âne et à la crête de coq, aux guenilles puis à l’habit bigarré qu’il porte ainsi qu’à la marotte (bâton) avec laquelle il dialogue, il l’est aussi aux grelots fixés autour de ses jambes qui retentissent en se déplaçant. Quel que soit l’art, il s’impose dès le départ comme une figure sociale, celle du marginal qui rejette Dieu et qu’on maltraite, mais qui inspire aussi Saint-François D’Assise – qui rompt avec son milieu bourgeois pour vivre dans la pauvreté matérielle – et dont les puissants vont s’entourer.
C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous
«Profane et sacré se mêlent sans cesse. On joue sur l’idée du renversement et du miroir que nous tend le fou, qui nous interroge sur l’autre et sur nous-même», résume Élisabeth Antoine-König, conservatrice générale au département des objets d’art et commissaire de l’exposition avec Pierre-Yves Le Pogam, conservateur général au département des sculptures au Louvre. Le visiteur est d’abord introduit dans le monde des marges : «Celles des manuscrits où, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, se multiplient des créatures étranges, hybrides, grotesques, connues sous le nom de « marginalia« , en regard des textes sacrés ou profanes», explique la commissaire.
Ces créatures, comme la figure du fou, vont envahir tout l’espace, du sol (dalles et carreaux de pavement) au plafond (plafonds peints du sud de l’Europe). Au XIIIe siècle, le fou est inextricablement lié à l’amour et symbolise la luxure. Tantôt acteur, tantôt commentateur, il alerte ceux qui se laissent aller à la débauche et que la mort guette, comme l’évoque une série de «danses macabres» dessinées et peintes. «À partir au moins du XIVe siècle, le fou de cour, antithèse de la sagesse royale, s’institutionnalise. Sa parole ironique ou critique est acceptée», poursuit la spécialiste.
Jeu de tarot et pièce d’échec
Ce fou subversif devient alors un personnage des jeux : pièce d’échec, il est aussi un atout du jeu de tarot, apparu au XVe siècle en Europe et dont les premières cartes connues sont présentées dans l’exposition. Le parcours évoque son omniprésence dans les fêtes urbaines, notamment le carnaval où il incarne les rites de renversement de l’ordre. De Bosch à Bruegel, il triomphe à la Renaissance, en étant celui qui dénonce la folie des hommes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ses représentations disparaissent progressivement, alors que s’impose le règne de la raison et des Lumières. Il survit dans certaines figures comme Don Quichotte.
L’exposition s’achève par l’évocation de l’enfermement des malades mentaux dans la première moitié du XIXe siècle, avec notamment un tableau de Goya, L’Enclos des fous de Saragosse, dénonçant une violence transformée en spectacle. Des gargouilles de Notre-Dame de Paris sont également présentées en fin de parcours, tandis qu’un film muet rend hommage à la figure de Quasimodo, immortalisée par Victor Hugo. Le mystérieux Pierrot, dit le «Gilles» d’Antoine Watteau, hommage à l’artiste et au marginal qui devait faire initialement partie des œuvres exposées, a été entièrement restauré depuis et fait l’objet d’une autre exposition au Louvre, qui prolonge celle sur les «figures du fou».
«Figures du fou,
du Moyen Âge aux Romantiques»
Jusqu’au 3 février 2025.
Louvre – Paris.