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[BD] Retour de trip (et de strips) avec les Freak Brothers


Grâce aux éditions Revival, les Freak Brothers s’offrent une nouvelle jeunesse. L’occasion de (re)découvrir ces personnages emblématiques de la contre-culture américaine, imaginés par Gilbert Shelton à la fin des années 1960.

Dans un avant-propos dessiné qui ne manque pas de saveur ni de folie, Gilbert Shelton est catégorique : «Non, les Freak Brothers ne sont pas morts». Mieux, «ils n’ont pas pris une ride!». Il pourra remercier les efforts de deux maisons d’édition : Fantagraphics du côté des États-Unis, et dans sa foulée, Revival en France. Toutes deux ont en effet décidé de dépoussiérer les trois affreux hippies (qui, précision, ne sont pas frères) à travers un joli travail de consignation, de traduction et de numérisation. Un coup de jeune pour un saut en arrière de quasi soixante ans, que Florentino Flórez-Fernandez rappelle dans une préface détaillée et dédiée à la BD «underground».

Gilbert Shelton, aujourd’hui âgé de 84 ans, n’aime toujours pas ce terme, qu’il remplace par «alternatif» ou «indépendant». Ou mieux, «comix», attribut choisi pour se différencier des autres «comics» et se donner des airs sulfureux. Rien d’étonnant d’apprendre qu’à l’époque, ce genre d’ouvrages se trouvait, outre Atlantique, dans des «head shops», boutiques fourre-tout où l’on vendait notamment des accessoires pour fumer du tabac. Ou plutôt de l’herbe. On est, il faut le rappeler, entre 1967 et 1968, en pleine révolution culturelle avec son lot de drogues et d’expérimentations. Les Freak Brothers viennent de là, et vont y pousser jusqu’en 1992 (avec l’aide de Dave Sheridan et Paul Mavrides). Un sacré terreau.

Vu le chaos qu’ils sèment régulièrement sur leur passage, on retrouve facilement leur trace, bien que leur propre père ne sache pas «exactement» quand il a commencé à parler d’eux. Plusieurs évènements sont toutefois notables : une première parution dans un journal local à Austin (Texas), puis une première histoire (Jack and the Beanstalk, qui parle d’une graine de marijuana géante).

Arrivera ensuite, dans l’idée de contrecarrer les circuits de distribution traditionnels, la création à San Francisco de la maison d’édition Rip Off Press, également branchée affiches de rock. Le succès arrive rapidement et les chiffres donnent désormais le tournis : la série s’est vendue à plus de 45 millions d’exemplaires dans le monde, et ce, dans 20 pays et en 16 langues. Pas mal pour des emblèmes de la contre-culture.

Les Freak Brothers n’ont pas pris une ride!

Avec cette première intégrale, Revival, contrairement à d’autres et anciennes rééditions françaises (pas toujours réussies), ne fait pas le choix de la chronologie et attaque avec ce qui est sûrement l’histoire la plus «classique» d’un point de vue narratif : The Idiots Abroad, publiée entre 1982 et 1987.

Traduit en français par Les Idiots se font la malle et autres dingueries, le titre pose d’emblée le décor et les intentions. Les «idiots», ce sont les Freak Brothers, aux liens de parenté avec d’autres trios célèbres comme les Marx Brothers, les trois Stooges et les Pieds nickelés. Dans l’ordre : Fat Freddy (un gros moustachu solide, pas très futé et au chat fidèle), Phineas (le barbu à lunettes contestataire mais pas trop intello) et Freewheelin’ Franklin (le maigrichon avec un chapeau de cowboy, ressemblant vaguement à Lemmy de Motorhead).

Adeptes de la glande, avec eux, les aventures se lancent souvent de la même manière : le besoin irrépressible de trouver de la drogue (surtout de l’herbe), prétexte à de moult péripéties. Dans celle-ci, désireux de se rendre en Colombie pour aller directement se fournir chez le producteur, ils vont finalement faire le tour du monde (Glasgow, Barcelone, La Mecque, Moscou, Bogota…), rencontrer toute une faune interlope (gang de rue, espion, terroristes hooligans, artiste anarchiste, survivalistes, pirates, militaires), boire sans soif (bière, whisky, vodka) et goûter à différentes drogues. Tout ça pour finir dans la peau d’agents secrets et d’«empereur de la Terre»! Il fallait bien une histoire de Fat Freddy’s Cat, autre figure iconique de Gilbert Shelton, pour conclure et redescendre.

Comme l’est la BD et le veut l’esprit de l’époque, le trait est libre (parfois grossier), le découpage inventif, le texte bavard et le culot à chaque page. Mais tout n’est pas que gaudriole et défonce : les Freak Brothers, bien que déglingués et mal fagotés, sont aussi le miroir d’une Amérique des années 1960-1970, à double visage : d’un côté, l’amour libre, les manifestations contre la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques, l’émancipation des femmes et des homosexuels, le rock… De l’autre, tout ce qui va dans le sens opposé : le fanatisme religieux, l’armée, la police, la politique.

Avec d’autres sujets aux échos plus actuels encore (les réfugiés, l’IA), les trois hirsutes plus bêtes que méchants montrent que le monde qu’ils ont connu n’est pas si éloigné de celui d’aujourd’hui. D’où l’utilité de leur renaissance. À ce titre, on risque d’entendre parler d’eux encore longtemps. Au moins jusqu’en 2026 et les cinq autres intégrales prévues par Revival.

L’histoire

Phineas, Freewheelin’ Franklin et Fat Freddy ont une idée de génie : aller chercher de la drogue directement dans les pays producteurs! Hélas, leur road trip planétaire tourne au désastre : tout à la recherche de leur camelote, ils parviennent à offenser groupes terroristes, trafiquants d’êtres humains, pirates et fanatiques religieux…

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