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[Série] «Rematch» : Kasparov contre l’IA


(photo DR)

Une nouvelle série à regarder sur ARTE.

Cette semaine encore, on a pu entendre une nouvelle mise en garde contre l’intelligence artificielle. Elle ne vient pas de n’importe qui. Geoffrey Hinton, 76 ans, est l’un de ses pères fondateurs et il a reçu, mardi, le prix Nobel de physique avec son compère John Hopfield. Tous deux regrettent en effet un manque de régulation éthique et morale de cette technologie, sans laquelle l’homme sera bientôt confronté à des «systèmes plus intelligents» que lui, qui finiront «par prendre le contrôle», disent-ils.

Cette angoisse n’est pas nouvelle, et celle qui a sûrement eu le plus de résonance portait sur le match de 1997 entre Garry Kasparov, maître absolu des échecs, et l’ordinateur Deep Blue. À l’époque, la presse en a fait ses choux gras, car il s’agissait tout bonnement de «défendre» la supériorité de la «race humaine». Il n’était plus question de jeu, mais bien de «guerre», avec un échiquier en guise de champ de bataille.

À gauche de la table, un génie, presque machine, régnant sur la discipline depuis quinze ans. Il est capable d’anticiper cent coups à l’avance, et à cette puissance intellectuelle s’associe un physique calibré pour encaisser les épuisantes parties qu’exige l’exercice, qu’il voit comme une forme de «torture mentale». Sous les yeux de sa mère, il enchaîne les pompes avant de réviser ses stratégies. Il ne laisse rien au hasard, car «perdre n’est pas une option».

À droite, son adversaire a des airs de HAL 9000, l’IA de 2001 : A Space Odyssey (avec ce rond lumineux qui semble vous regarder) et la stature d’une belle armoire normande, avec ses deux mètres de haut et ses 1 400 kilos. L’œuvre d’IBM qui, un an avant, s’était fait battre par Garry Kasparov, déjà lui. L’heure est donc au «rematch» (match retour), que la firme américaine ne peut, elle non plus, pas perdre : sa réputation (et ses actions en Bourse) est en chute libre. Et ce serait dommage de passer à côté du boom d’internet.

Tous les coups sont permis

Après The Queen’s Gambit (2020), c’est donc au tour du réalisateur (et coscénariste) Yan England de rendre les échecs glamour, mais sans l’aide de l’actrice Anya Taylor-Joy. Il peut toutefois compter sur ARTE, chaîne toujours inspirée, et son Grand Prix obtenu au festival Séries Mania. Si l’issue du duel est connue (la victoire de la machine sur l’homme), cela n’enlève rien à la tension de ce thriller psychologique rythmé par le tic-tac stressant de la pendule et les pions que l’on déplace comme si la vie en dépendait.

Un combat où tous les coups sont permis, bien que déséquilibré. D’un côté, un homme seul (incarné par Christian Cooke) que les succès ont rendu arrogant, impulsif, excessif, paranoïaque, et qui, invaincu et au sommet de son art, n’envisage pas qu’une machine puisse le battre. De l’autre, la toute-puissance d’une multinationale qui, sous la houlette d’une responsable ambitieuse (jouée par Sarah Bolger), compose en coulisses une équipe de choc faite de grands maîtres d’échecs et de brillants programmeurs, alimentant «l’ordinateur le plus puissant jamais créé», pouvant calculer jusqu’à 200 millions de coups par seconde.

Documenté et rigoureux, Rematch reproduit les parties de l’époque comme certains gestes de Garry Kasparov, et s’appuie sur des archives visuelles et sonores. Il insiste aussi sur les zones d’ombre entourant ce match, dont une, principale : y a-t-il une main humaine derrière les choix de l’ordinateur? Car celui-ci, s’il monte en température comme n’importe quel appareil électrique, montre d’étonnantes capacités d’adaptation et d’auto-apprentissage. Au fil des parties, Deep Blue joue même  «comme un être humain». À l’aube du XXIe siècle, le futur de l’intelligence artificielle semble déjà en marche…

Poussé dans ses retranchements, les yeux rivés sur sa montre et l’esprit en surchauffe, Garry Kasparov est devant un obstacle d’un genre nouveau. Au gré des flash-back, on apprend toutefois que l’homme en a connu d’autres – on ne le surnomme pas «l’ogre de Bakou» pour rien : la mort précoce d’un père, l’omniprésence d’une mère, la pression et la surveillance du régime soviétique qui lui préférait Anatoli Karpov (son rival de toujours), la brouille avec son ex-femme qui l’empêche de revoir sa fille et, maintenant, les manigances de l’impérialisme qui n’espère qu’une chose : le faire tomber de son trône et vendre des ordinateurs en pagaille.

Le champion au regard noir continuera d’autres parties, plus tard, sur un autre échiquier, politique celui-là. Si la série n’en parle pas, un documentaire, toujours sur ARTE, prend le relais. On y apprend que Garry Kasparov s’est opposé à Vladimir Poutine en 2007, qu’il s’est retrouvé en prison, puis en exil aux États-Unis. Depuis mars, il est même qualifié par le Kremlin d’«extrémiste et de «terroriste». Oui, si l’IA peut être source d’inquiétude, l’être humain n’est guère plus rassurant.

 

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