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[Album de la semaine] «The New Sound», le paradoxe Geordie Greep


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Geordie Greep, The New Sound, sorti le 4 octobre sur le label Rough Trade.

Curieux titre que The New Sound… Curieux mais raisonné. Raisonné et pourtant complètement paradoxal. Il n’y a après tout qu’une explication logique à cela : après la dissolution inattendue (voire choquante) du groupe de rock expérimental black midi, unilatéralement décidée et annoncée par son charismatique «frontman», Geordie Greep, dans le fil de discussion d’un «live» Instagram début août, ce dernier est passé de plus belle promesse du rock anglais à musicien détesté. S

on attitude (il y a des mots en anglais pour la définir : «prick», «asshole», «wanker»…), cette même attitude qu’il adoptait sur scène avec ses furieux ex-compères, fait bien entendu partie du personnage. En cela, The New Sound ne diffère pas tellement de ce que le «vieux son» de black midi lui a permis d’exprimer; la grande majorité des onze chansons de ce premier (et remarquable) effort en solo présentent encore des études de personnages vulgaires, ridicules, détestables, aveuglés par leur richesse, leur goût pour l’alcool et leur obsession pour une virilité qu’il faudrait selon eux réaffirmer.

 

C’est un Blues qui ouvre l’album. Soit une chanson élaborée d’après la structure d’un blues classique, puis enfouie loin derrière un riff de guitare et un jeu de batterie frénétiques – le fondement du post-punk étiqueté black midi, dont on reconnaît d’ailleurs ici la batterie de Morgan Simpson, seul membre du groupe à avoir été sollicité par Geordie Greep.

Ce premier titre, sur lequel Greep se lance de sa voix nasillarde dans un «spoken word» effréné, trace aussi les limites de la ressemblance entre black midi et The New Sound. À l’échelle de l’album, c’est surtout une idée qui plane, la sensation que le guitariste et chanteur, qui se réinvente ici en véritable crooner, monte son propre cabaret rock à la Primus, loin d’être étranger au chaos organisé, pointu et métamorphe créé par black midi, mais pourtant plus largement abordable à l’écoute.

Un cabaret rock, ni pastiche ni patchwork, qui n’en est pas moins turbulent

Résumons un peu : derrière un titre qui crie à la nouveauté, l’album va chercher ses influences du côté de genres bien établis. Salsa, bossa nova, rock progressif, new wave, disco, jazz sous toutes ses formes (vocal, free, fusion…), tout y est et est facilement identifiable, même passé à la moulinette Geordie Greep.

C’est que le garçon, du haut de ses 25 ans, voit décidément les choses en grand, s’entourant d’une trentaine de musiciens différents pour confectionner un «nouveau son» enregistré entre Londres et São Paulo, parfaitement en équilibre entre l’énergie douce des sonorités sud-américaines et le raffut des expériences rock.

Le résultat, ni pastiche ni patchwork, n’en est pas moins turbulent. Les changements d’orchestration, fréquents, s’installent ou éclatent comme l’évolution naturelle du morceau : As if Waltz ose le mélange de la valse et de la new wave, Walk Up balaye son introduction style Broadway pour attaquer un «free rock» enragé, avant de laisser place à une outro en forme de parodie de chanson country.

Il y a tant de références, assumées ou sous-entendues, que Geordie Greep garde chevillées au corps (et au manche de sa guitare) que les révéler briserait une partie de la magie démoniaque contenue dans l’album.

Pour souligner le sens du détail de l’artiste, citons tout de même l’influence des Who période Tommy (1969) dans le titre éponyme de l’album – le seul qui soit instrumental –, ou celle du Genesis période Peter Gabriel dans The Magician, pierre angulaire de l’album, ne serait-ce que pour sa durée (douze minutes !).

À parts égales satiriste de grand talent et savant fou de la musique, Geordie Greep devait faire son retour avec une explosion sonore. Celui que l’on découvre maintenant grand fan de Frank Sinatra (If You Are But a Dream, standard plusieurs fois enregistré par «The Voice», est repris en clôture de l’album, les grandioses arrangements de cordes abandonnés pour la noble simplicité d’un piano) a frappé un grand coup. Surprenant ? Oui, mais digne de ce que l’on attendait de lui : un paradoxe fascinant.

 

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