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Vues (et vies) du quartier Gare à Luxembourg


L’ambiance était tranquille, quasi récréative, au cours de la balade, qui a été épargnée par les maux du quartier évoqués par les habitants présents. (Photo : Nancy Lambert)

Ce dimanche matin, c’est au quartier Gare, sensible pour ses questions de drogue et de prostitution, que s’arrêtaient les «Apéri’tours» organisés depuis juin par la Ville pour ses habitants. Ambiance, entre fraîche balade et brûlantes discussions.

Lancé le 19 juin au Cents, le concept des «Apéri’tours» part d’une bonne intention : connecter les habitants des 24 quartiers de la ville de Luxembourg avec les responsables politiques et ceux des différents services communaux, sous la forme, lit-on, de «rencontres entre voisins».

Lydie Polfer, bourgmestre qui n’en a pas loupé «un seul», est bien présente ce dimanche matin au centre sociétaire rue de Strasbourg, pour ce 18ᵉ rendez-vous du genre où se mêlent balade à la fraîche et échanges au chaud. Une assiduité qu’elle explique simplement : «On est encore une ville à l’échelle humaine. Le contact est important.»

Elle a pu le constater avec ces discussions-excursions qui connaissent depuis l’été un «beau succès» populaire, au point aujourd’hui de déborder du cadre, surtout quand on évoque le quartier Gare et ses problèmes d’insécurité. Justement, c’est le sujet du jour, bien qu’il ne soit pas nouveau.

Ces dernières semaines, en effet, sous la gronde de certains réunis sous une appellation («Quartier-Gare – Sécurité & Propreté») et dans des formes multiples (pétition, manifestation, activité sur les réseaux sociaux), l’ambiance s’est durcie et, désormais, il s’agit de discuter non seulement des nombreux chantiers en cours dans la capitale, mais aussi des problèmes qui inquiètent et énervent : le trafic et la consommation de drogue à ciel ouvert ainsi que la prostitution, avec tout ce qui en découle (criminalité, insalubrité, insécurité…).

Si Lydie Polfer sait tout ça, elle s’en tient aux commodités d’usage : elle présente à la va-vite le collège échevinal («au complet»), les responsables des services de la Ville (reconnaissables avec leurs «plaquettes» autour du cou), et compose illico des groupes pour partir en visite dans le quartier, afin de découvrir à quoi il ressemblera demain et d’en «prendre la température», comme on le dit sur place.

Point de vue imprenable depuis l’école précoce

Celle-ci n’est pas très élevée, selon le principe, bien connu, qu’une capitale un dimanche matin n’a rien d’un ghetto. On y croise des âmes à peine réveillées patientant à la boulangerie et des touristes à valise, pressés ou perdus.

Certes, de rares recoins de rue semblent servir de dépotoir et les travaux laissent de vilaines cicatrices dans le paysage, mais on est loin des scènes «choquantes» qu’a pu observer la bourgmestre, de nuit, en compagnie de la police, toutes vécues par les habitants, qui détaillent : bagarre, tapage, intimidation, racolage et, plus généralement, misère sociale.

Le jour également, précise Benjamin, un habitant du quartier, régulièrement interrompu par son petit garçon. En deux tirages de pantalon, son père plante le décor, depuis l’école précoce et fondamentale située rue du Commerce : «À droite, il y a les prostitués, devant, le sex-shop et, à gauche, c’est le marché de la drogue. Dès 17 h!»

Rien de tout ça n’est visible lors de la balade dominicale, en dehors d’inoffensifs et rares regroupements devant des immeubles ou les cafés ouverts. En son cœur, l’ambiance est tranquille, quasi récréative.

L’université a distribué de petits appareils photos jetables, et les images prises par le public tomberont plus tard sur les bureaux de la Ville. Et dans les rangs, on se plie à l’exercice de la promenade, bien que la tête soit à d’autres préoccupations.

Ici et là, on parle alors de syndicat de copropriété, du prix des logements et d’un problème de parking à Hollerich (objet d’une réunion dans une semaine). Prabu y sera, car c’est son quartier, mais d’où il tire les mêmes conclusions : «Il y a un déplacement des problèmes de la gare ailleurs», comme devant son immeuble, où les squats et les seringues usagées abandonnées au sol sont des problèmes réguliers. «Le soir, on n’est pas rassurés», confie-t-il, au point parfois de se retenir de sortir avec sa petite fille.

Luxembourg, capitale cosmopolite à défendre

Mais l’homme est aussi bienveillant, lui qui en a déjà vu d’autres lors de ses voyages et résidences dans différentes «capitales». Une question toutefois le trouble : «Pourquoi au Luxembourg, où il y a tant de moyens, on n‘arrive pas à contrôler une si petite zone?»

Il n’attend pas la réponse, ayant déjà sa petite idée : «Pour moi, c’est une bataille entre le politique, les réglementations à respecter et ceux qui arrivent à se faufiler entre les deux pour survivre.»

Même son de cloche chez Benjamin, qui est revenu s’installer à la Gare après avoir vécu au Kirchberg : «C’est le seul endroit vraiment cosmopolite en ville, soutient-il. Il faut défendre ça, car c’est une richesse. Mais que l’on soit le fils d’un réfugié syrien ou celui d’un banquier, personne ne devrait enjamber un drogué rue de Strasbourg.»

Après un passage par la rue du Fort-Neipperg ou par le plan d’aménagement particulier «Cité de la Sécurité sociale», tous sont de retour au QG du centre sociétaire, où de récentes réunions ont attiré de «600 à 800 personnes», calcule Lydie Polfer.

Sur place, autour d’elle, on l’interpelle d’ailleurs sur les mêmes thèmes : la lenteur de l’action politique (pour ne pas dire laxisme), les limites de la coopération entre l’État et la Ville pourtant sous la même étiquette (DP-CSV), l’insuffisance de la prévention, la surcharge des services sociaux et sa mécanique à double tranchant («plus on en développe, plus ça attire des gens qui chercheront à en profiter», soutient-elle).

Reste la manière dissuasive, comme avec cette patrouille de police qui se déplace depuis peu à pied et avec un chien, aux effets apparemment appréciés par les commerçants du coin.

Étienne Duval, l’homme-machine

Selon l’échevin Laurent Mosar, une loi prochaine devrait même permettre aux autorités d’intervenir dans la rue pour des cas de consommation, et non plus seulement de trafic de drogue. À ses côtés, Lydie Polfer abonde d’un mouvement de tête, «touchée de voir comment ces problèmes ont pris de l’ampleur» depuis 2013 et son second mandat, frustrée aussi, sans police municipale, de ne pouvoir agir sur le levier répressif.

Plus tard, en retrait, comme pour se rassurer, elle sortira de sa poche un minuscule bout de papier rose, sur lequel un résident du quartier Gare lui précise sa satisfaction de voir un vigile posté devant le centre sociétaire, améliorant, comme il l’écrit, «la sécurité des lieux». «C’est le genre de message qui donne le courage de continuer», souffle-t-elle avant de le replier dans le creux de sa main, comme un objet précieux.

Une fois que tout le monde a eu son mot à dire à la bourgmestre et son équipe, sans la moindre agressivité, la salle a repris ses airs de classe d’école, studieuse, avec, sur les murs, des plans à consulter et, sur les tables, des fiches à remplir et des idées à donner sur la ville, l’écologie, les équipements, le déplacement…

«Il faut mettre les choses qui vous plaisent et celles qui ne vous plaisent pas», insiste, pédagogue, l’édile, sans oublier de «nous rendre attentifs aux choses que l’on n’aurait pas vues». Objectif : rassembler les humeurs et conseils en vue d’un grand compte rendu prévu pour le printemps 2025.

D’autres dans le public fixent l’échéance aux prochaines élections, moment toujours idéal pour faire le point sur ce qui a avancé ou pas. Certains, enfin, voient encore plus loin, comme c’est le cas d’Étienne Duval, artiste et «homme-machine» qui, planqué derrière son «Quartier Maton», part jusqu’en 2070 pour imaginer votre ville du futur après une série de questions saugrenues, et l’illustrer joliment. Ah, si seulement tout était aussi spontané qu’un dessin.

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