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Antony Fecchi : «Il manque des droits pour les personnes transgenres»


Pour Antony, «c'est important de mettre des systèmes en place contre la discrimination dans les écoles».

Antony Fecchi témoigne de son parcours en tant qu’homme transgenre au Luxembourg. Selon lui, le pays a encore des progrès à faire pour s’ouvrir à la thématique.

Antony Fecchi vit depuis quatre ans sa transidentité. Si aujourd’hui l’étudiant luxembourgeois de 23 ans se sent bien dans son corps et assume son identité, son parcours n’a pas toujours été aussi facile.

En cause : l’état des droits des personnes transgenres et l’ouverture du Luxembourg sur la thématique. Il nous raconte.

À quel âge avez-vous commencé votre transition sociale?

Antony Fecchi : C’est en décembre 2019, quand j’avais 19 ans, que j’ai pu poser des mots. Je l’ai su pour moi-même dès mon enfance, c’était naturel pour moi. C’est juste qu’on ne m’avait jamais expliqué que c’était possible. On ne m’avait jamais dit ces mots-là : « personne trans«  ou « identité de genre« .

On m’avait imposé les normes de la société, sauf que ce n’était pas du tout mon besoin. J’ai remarqué au bout d’un certain temps que ces normes, ce n’était pas vraiment moi. Donc, j’ai beaucoup réfléchi, fait des recherches et j’ai aussi parlé avec une bonne connaissance qui a fait des recherches pour moi.

Elle a cherché une association qui serait là pour me donner des informations, m’accompagner et me faire rencontrer des personnes qui sont aussi concernées. Au début, je ne me rendais pas compte à quel point c’était important. Mais avec le recul, ça m’a beaucoup aidé. Je suis hyper-content d’avoir rencontré des personnes qui vivent la même chose que moi. On se sent compris et entendu.

Et votre transition médicale?

J’ai commencé à prendre mes hormones en août 2020. Ça va faire quatre ans et quelques mois que je les prends maintenant. Il y a plein de choses qui ont changé. Ma voix a mué au bout de huit mois, ma pilosité a poussé au bout d’un an et mes graisses corporelles ont changé au bout de deux ans, grâce au sport aussi. C’est comme une seconde puberté. J’étais hyper-content. J’ai même pleuré parce que je savais que j’allais être beaucoup plus à l’aise.

Pour faire une transition médicale, il faut aller voir un psychiatre pour qu’il donne le papier qui dit « OK, c’est bon, il peut entamer sa transition« . Avec ce papier-là, on va chez l’endocrinologue, qui fait des tests : mammographie, gynécologie… Ça dépendra du médecin. Et à ce moment-là, quand tout est bon, on va chercher ses hormones à la pharmacie. Par contre, pour les opérations, il faut aller à l’étranger.

Le milieu médical luxembourgeois est-il adapté aux personnes transgenres?

Ce serait bien que le milieu médical écoute les personnes trans et inclut quelques personnes concernées, pour savoir ce qu’elles ont déjà vécu et ce dont elles ont besoin, pour sortir des choses productives. Par exemple, ils utilisent encore les termes « transformation«  et « changer de sexe« . Il faudrait déjà changer à ce niveau-là. À la place de « transformation« , il faut dire « transition« .

Ils pathologisent encore quelque chose que l’OMS a dépathologisé… Je n’ai encore jamais eu un psychiatre qui ne pathologisait pas le fait d’être trans. Il y a même quelques endocrinologues ici qui ne veulent pas nous prendre. Ce n’est pas toujours sécurisant d’aller chez le docteur, alors que ça devrait l’être.

Avez-vous vécu de la transphobie au moment de votre coming out?

À ce moment-là, je travaillais dans un fast-food. Quand je suis arrivé là-bas, je n’avais pas commencé mes hormones et ni mon prénom ni mon sexe à l’état civil n’étaient encore changés. Je n’étais pas vraiment soutenu par le travail. Pour commencer, je voulais changer mon prénom sur les horaires, mais ils me disaient que ce serait un travail assez gros pour l’administration.

Par la suite, il y a eu de la discrimination assez volontaire. On m’a posé des questions déplacées et j’ai aussi vécu des attouchements sexuels au travail. Certaines personnes voulaient savoir si j’avais une poitrine. Et ça semblait tellement normal pour elles, alors que c’est vraiment déshumanisant.

De l’autre côté, j’ai un entourage aimable, acceptant et solidaire. Mes proches normalisent le fait d’être tout simplement soi-même.

Quelles démarches faut-il faire pour changer l’état civil?

Il y a un dossier à remplir, il n’est pas très grand. Il faut d’abord fournir des témoignages de notre entourage, qui attestent notre transidentité et expliquent comment, lui, nous perçoit. Ce qui est discriminatoire à mon sens, puisque c’est nous-mêmes qui savons comment nous nous sentons dans notre tête et notre corps.

Il y a aussi d’autres documents à fournir : casier judiciaire, régime de curatelle ou tutelle, acte de naissance, carte d’identité des personnes qui témoignent et quelques autres documents. Mais ce qu’ils regardent vraiment, ce sont les témoignages. Ensuite, il faut attendre plusieurs mois. Moi, je l’ai eu au bout de trois mois. Après, on passe au ministère de la Justice, dans une petite salle, face à une seule personne.

C’est un peu comme un entretien, pour vérifier si on est bien la personne qui a fait la demande. Ils ne posent pas de questions. Après, on reçoit un arrêté avec lequel on va à la commune où on est déclaré et on fait le changement. L’État est censé modifier ça automatiquement dans le logiciel… Mais parfois, il ne se change pas automatiquement. Donc, il y a quand même encore du travail à faire là-dessus.

(Photo : Hervé Montaigu)

Aujourd’hui, vous étudiez. Comment cela se passe-t-il à l’école?

Je suis rentré à l’école en sachant qu’avant, j’étais dans un lycée et dans un internat pour les filles. J’ai retrouvé quatre ou cinq élèves de ce lycée à l’école. Elles m’ont reconnu. La rumeur de ma transidentité est donc vite passée et a fait polémique. J’ai été parler avec les personnes référentes de la classe.

Au lieu de prendre ma défense, elles m’ont demandé de faire une présentation, ce que je n’ai pas voulu faire. Forcément, les discriminations n’ont pas arrêté. Alors, je suis retourné les voir pour leur demander de mettre des choses en place. L’un des professeurs présents le jour-là m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Il faudrait un peu te renforcer émotionnellement« . J’étais choqué que l’école ne prenne pas en compte ce qu’il se passait.

Il y a aussi la façon dont certains élèves de la classe se comportent. Par exemple, quand je m’assois à côté d’eux, ils se lèvent et se mettent ailleurs, loin de moi. C’est déjà arrivé qu’ils m’insultent. Un jour, dans les vestiaires, un autre élève est venu vers moi et m’a menacé. D’abord les autres rigolaient, mais lorsqu’il s’est approché pour me taper, ils ont fini par l’arrêter.

C’est seulement après cet incident que l’école a décidé de mettre quelque chose en place. L’élève va devoir s’excuser auprès de moi. Mais pour moi, ce n’est pas suffisant, j’aurais voulu qu’il soit suspendu et exclu s’il continuait encore. C’est important de mettre des systèmes en place contre la discrimination dans les écoles.

Le milieu éducatif est-il formé sur les personnes trans?

Au Luxembourg, à l’école, on n’est pas sensibilisé aux identités de genre et on n’en parle pas. Alors que le côté éducatif est tellement important. Dans mon école, l’instituteur a parlé de « transsexualité«  en cours de pédagogie sexuelle, mais ce n’étaient pas les bons termes

C’est vraiment frustrant, autant ne pas le faire du tout, c’est primordial d’informer les élèves correctement sur la thématique! Je trouve que le ministère de l’Éducation nationale a encore des choses à travailler. Je ne dis pas qu’on est sur la mauvaise voie.

Je dis juste qu’il y a des choses qu’on devrait adapter correctement pour utiliser les bons termes. Le fait de tout le temps devoir expliquer aux professeurs quels termes employer et pourquoi, c’est quand même assez dur.

Si on veut avoir une certaine ouverture d’esprit, tout passe par l’éducation

Quel est l’état des droits des personnes trans au Luxembourg?

À mes yeux, les droits sont juste écrits, mais pas vécus. Par exemple, il y a le Centre pour l’égalité de traitement (CET). Il est là pour parler de discrimination et d’égalité. Il donne des pistes, écoute et rappelle la loi, mais il ne peut pas encore envoyer la personne qui discrimine devant la justice.

Si on parle vraiment de droits trans au Luxembourg, il en manque. Rien que pour trouver un emploi, c’est compliqué, surtout pour les personnes trans qui n’ont pas de cispassing (NDLR : ce mot désigne le fait qu’une personne trans n’est pas perçue comme telle).

Souvent, les discriminations sont faites de manière floue pour qu’on ne puisse pas identifier la transphobie. En sachant que ce n’est pas notre genre qui va travailler pour nous, mais nos compétences professionnelles.

Est-ce que c’est un pays socialement ouvert à la thématique?

Pour parler de la thématique trans en général, les gens sont plutôt ouverts. Mais pour parler de la problématique au Luxembourg vis-à-vis de la thématique trans, ce n’est pas la même histoire… On parle souvent des choses qui se passent bien, rarement des problèmes et des choses qui devraient changer.

Le Luxembourg sensibilise et représente beaucoup, mais il n’y a pas de système mis en place contre la discrimination et pour l’inclusion. Il y a beaucoup de manques sur la manière de mettre les choses en place. J’aimerais bien que le Luxembourg s’ouvre au niveau des idées et des questions LGBTQI+, qu’on mette des systèmes en place, qu’on se sente à l’aise.

Il faut moins de blabla et de représentation, parce que, actuellement, ils représentent quelque chose qui n’existe pas vraiment à mes yeux…

Vous parlez de systèmes à mettre en place. Vous avez des exemples?

Si on veut avoir une certaine ouverture d’esprit, tout passe par l’éducation. Si on a des personnes dans le secteur éducatif qui ne sont pas acceptantes, forcément ça va se répandre. Je trouve que c’est important qu’on trie les personnes qui y travaillent.

Comment laisser des personnes entrer dans le secteur éducatif, que ce soit des professeurs, éducateurs, animateurs, peu importe, qui ne sont pas neutres? Là, je verrais bien le fait d’avoir un examen ou un questionnaire sur la vision des choses des candidats.

Et à ce moment-là, quand les personnes répondent, il y a un entretien qui est fait avant d’entrer dans l’école et sur le terrain. Pour éviter les discriminations et traumatismes chez les jeunes.

Cela commence aussi par l’inclusion. Il est important de noter que le corps et comment la personne se perçoit ou s’identifie sont des choses complètement distinctes. Il faut aussi normaliser le fait qu’un garçon peut porter une robe ou mettre du vernis, que les parents ne sont pas forcément un père et une mère…

Normaliser les choses comme cela, c’est déjà mettre un système en place, c’est faire en sorte que les générations suivantes discriminent moins et normalisent plus facilement le fait que c’est normal d’être soi-même, qu’il faut laisser les gens vivre comme ils le souhaitent, si ce sont leurs besoins. Ce sont des choses tellement minimes, mais qui pourraient apporter beaucoup à la société.

Y a-t-il une différence avec d’autres pays européens?

Je pense que oui. En France, par exemple, il y a plein d’activistes et d’articles. Il y a beaucoup plus de visibilité qu’au Luxembourg. C’est même assez radical là-bas. Ici, tout se fait en coulisses.

Il faut vraiment savoir où aller et qui contacter pour trouver les bonnes associations et les personnes concernées. Mais sur d’autres aspects, la France s’en sort moins bien que le Luxembourg. Il faut notamment faire beaucoup plus de démarches qu’ici.

La petite taille du pays joue-t-elle un rôle?

Ça joue beaucoup en étant une personne trans visible au Luxembourg. Le fait de me dire que s’il y a quelques personnes qui le savent, est-ce que j’aurais un emploi? Est-ce que j’aurais une place dans la société pour travailler?

Et en même temps, tant mieux que le Luxembourg soit petit, parce qu’on peut parler avec les politiciens et les députés pour faire avancer les choses.

À votre niveau, qu’est-ce que vous pouvez faire pour changer les choses?

Je veux travailler dans l’éducation pour changer les choses. J’aimerais que les générations suivantes fleurissent. J’ai aussi une certaine philosophie… Je pense que la bienveillance peut vraiment avoir lieu dans la société. Il faut vraiment la cultiver.

J’aimerais également m’investir encore plus dans le milieu associatif, plus exactement dans l’ASBL Intersex & Transgender Luxembourg (ITGL), pour accompagner et informer les personnes concernées et leurs familles, comme moi quand j’en ai eu besoin.

Je veux faire avancer les choses, côté loi, mais aussi côté systèmes à mettre en place.

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