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Racisme dans le football ? «Fédération et clubs n’en font pas assez» au Luxembourg


20220611 - Football - ( Ligue des Nations de l’UEFA 2022 (Luxembourg - Turquie) ) Michael Omosanya (Luxembourg A #20) - Photo Luis Mangorrinha / Le Quotidien

Madeleine Yougye, fondatrice en 2021 de l’ASBL One People, porte un regard sans compromission sur le football luxembourgeois : il n’est pas à la hauteur de l’enjeu du racisme dans le sport.

Madeleine Yougye. (photo archives Editpress)

Guettez-vous particulièrement l’évolution d’affaires comme celle qui agite les clubs de Wiltz et du Progrès ?

Madeleine Yougye : Je n’en avais pas eu vent. Il faut savoir que les joueurs, en général, n’en parlent pas. Ou alors seulement à un proche et c’est tout. Alors ça ne remonte pas forcément jusqu’à nous et c’est bien pour ça que nous aimerions avoir d’anciens joueurs qui témoignent. D’anciens joueurs parce que les jeunes ont peur que cela ne nuise à leur carrière et que cela remette en question tout leur investissement personnel.

Peut-être qu’avec les nouvelles générations, la parole va se libérer, mais il faut voir la vérité en face : ils sont jeunes, manquent de maturité quand ça leur arrive, n’ont pas forcément d’engagement politique pour comprendre qu’ils doivent parler. Ils sont dans leur bulle. Le sport, pour une association comme la nôtre, c’est compliqué et c’est pourtant très important parce que ce genre de choses contribue à l’idée qu’on peut laisser faire.

La FLF, les clubs de DN, en font-ils assez ?

Les élites sportives, fédération et clubs n’en font pas assez. Tout simplement parce que les enjeux restent de remplir les stades et d’avoir les joueurs les plus performants sur le terrain. Je ne crois pas qu’il y ait eu un seul arrêt de match pour ce genre de problème au Luxembourg. Ni de marque de soutien officiel ou d’accompagnement psychologique – alors que ce serait le cas dans les entreprises – tant que cela n’était pas absolument nécessaire, parce que l’affaire prenait une proportion qui le nécessitait.

Récemment, on a eu des amendes jusqu’à 4 000 euros

Un stade de football est-il plus raciste que la société ?

Pas plus, non. Mais en extérieur, il est caché, larvé. On a aussi des cas dans les transports en commun, dans la rue. Mais dans les stades, c’est juste amplifié parce que c’est une arène.

Qu’y risquent les fans qui se rendent coupables d’insultes racistes ?

C’est très variable et je ne pourrais pas vous dire, même si c’est un espace public comme un autre. Récemment, et sachant qu’il peut y avoir aussi des peines judiciaires, on a vu tomber des amendes jusqu’à 4 000 euros.

Des footballeurs sont-ils déjà venus vous démarcher ?

Un père nous a appelés avant l’été pour nous signaler un cas dans le football luxembourgeois, en catégories jeunes. Mais aucun footballeur n’est venu nous voir, non. C’est comme dans la société civile : seuls 15 % des gens avouent avoir été victimes de racisme. Et souvent à un proche. Alors que nous proposons une aide juridictionnelle et psychologique.

Une vingtaine de «racistes» par stade en moyenne ?

En 2022, 15 % des résidents estimaient que des «réactions racistes sont parfois justifiées». Et dans les stades, ça donne quoi, ce genre de certitudes ?

Dans un football dont la sélection nationale est aujourd’hui tenue à bout de bras par une colonne vertébrale Christopher Martins – Leandro Barreiro, dont le meilleur buteur historique s’appelle Gerson Rodrigues, dont l’un des plus grands espoirs s’appelle Yvandro Borges, il y a malheureusement encore visiblement la place pour le racisme. C’est le cas dans tous les pays d’Europe. Pourquoi pas au Grand-Duché ?

Finalement, il suffit d’ouvrir les yeux sur la représentativité des gens de couleur dans ce milieu. On pourrait commencer par la présence (ou non) des minorités au sein du conseil d’administration de la FLF (qui n’en est d’ailleurs nullement responsable) ? Ou le fait que Yannick Kakoko, coach du RFCU, est le premier coach de couleur en DN depuis Bibey Mutombo à Mertzig, il y a plus de vingt ans ? Des signes. Rien de plus, mais des signes quand même qui disent des choses sur la société. La situation n’est pas différente en France, en Allemagne, en Belgique. Pas pire donc, mais pas mieux non plus.

Sauf qu’à l’étranger, les intérêts économiques en jeu dans le monde du foot poussent sans doute un peu plus les clubs à prendre le problème à bras-le-corps. Y compris à sanctionner quand cela s’avère nécessaire. Même symboliquement. En DN, il semble qu’on ait plus choisi de mettre la tête dans le sable et la lettre de Paul Philipp dans la foulée de l’affaire Wiltz – Progrès, pour bienvenue qu’elle soit, ne fait même pas référence à la problématique du racisme, pourtant cruciale dans le déroulé de la soirée.

Les réactions racistes sont «parfois justifiées» ? C’est 15 %

Il y a quinze ans, Evariste Kabongo, emblématique joueur du F91, tirait (déjà) le signal d’alarme et criait (déjà) dans le désert. Et en 2022, c’était un rapport d’étude sur le racisme au Luxembourg, qui disait ceci : deux tiers des victimes présumées affirment ne pas déposer plainte ou ne pas déclarer les actes parce qu’elles avancent qu’une déclaration ne changera rien (assertion confirmée par les réactions des joueurs dans le texte ci-dessus), 4,3 % des résidents luxembourgeois établissent une hiérarchie entre les races, mais ce pourcentage est «significativement plus élevé envers les personnes de couleur noire» (sur un public de 500 personnes réunies au stade, cela fait une vingtaine de personnes, fourchette basse), 15,2 % estiment que «des réactions racistes sont parfois justifiées» (sur un public moyen de DN, cette fois, cela monte à 75, au bas mot). Cela ne veut-il pas dire que les clubs vont devoir prendre des responsabilités et faire la police ? En tout cas, la moyenne de spectateurs sur les stades de DN dit cela : 75 personnes posant leurs fesses dans les gradins estiment qu’ils pourraient se lâcher sur une personne de couleur s’ils estimaient devoir le faire.

Selon des membres de la Ligue, aucun club n’a récemment, à leur connaissance en tout cas, pris de mesure d’expulsion définitive de stade à l’encontre d’auteurs de tels actes. Faut-il en conclure que rien ne s’est passé ? Ou qu’au contraire une certaine complaisance prévaut ? On attend éventuellement que la FLF et ses clubs discutent dans l’espace public des mesures concrètes à mettre en œuvre pour éviter que le prochain Wiltz – Progrès ne tourne encore plus mal…

J. M.

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