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Racisme dans le football ? La BGL Ligue n’est pas toute blanche


20240929 - Football BGL Ligue 2024/2025 - Match 9 - ( Strassen - Progrès ) Soiyir Sanali - Editpress Photo - Luis Mangorrinha

Les allégations de cris de singe et paroles racistes en marge de Wiltz – Progrès, mercredi dernier, seront traitées, entre autres choses, ce soir au tribunal fédéral. Elles nous rappellent que les joueurs de couleur, en DN, sont plus souvent confrontés au problème qu’on ne le pense.

Il n’y a pas d’un côté les Noirs du Luxembourg et les Noirs de l’étranger. C’est sans doute une chose importante à rappeler parce que l’on s’est posé la question, au fil des coups de téléphone, ces derniers jours : est-ce que des joueurs de couleur qui ont grandi ici, parlent la langue, ont fréquenté les catégories jeunes et sont donc identifiés «locaux» subissent moins le racisme ordinaire ?

C’est l’international Mickaël Omosanya, d’origine nigériane mais né au pays, passé par le F91 et Remich, qui a tranché dans le vif avec brutalité : «Bien sûr que ça m’est arrivé de me faire insulter ! C’était quand je jouais en Division 1. Cela m’est arrivé avec deux ou trois joueurs. Directement sur le terrain. Il y en a un qui m’a dit « T’es un sale Noir ! T’es un singe! »». Une violence totale. À 18 ans seulement et avec cette phrase en tête : «Ma mère m’avait prévenu. Et quand ça arrivera, il faudra que tu gères tes émotions.»

Selon le compte rendu fourni par le Progrès Niederkorn au tribunal fédéral de la fédération afin d’étudier la question des échauffourées qui ont conclu Wiltz – Progrès (1-2, 8e journée), mercredi dernier, Soiyir Sanali n’aurait, lui, pas pu maîtriser ses émotions quand il aurait, selon ses dires, été confronté à une phrase de la même portée hautement philosophique (lire ci-dessous). Et dans la foulée, chez certains joueurs de BGL Ligue, l’affaire a fait resurgir de très désagréables souvenirs qui disent que le championnat luxembourgeois n’est pas plus épargné qu’un autre. Nous n’avons bien sûr pu qu’effleurer la partie émergée de l’iceberg : il y a un peu plus de 450 joueurs au sein des seize effectifs de BGL Ligue et 30 % précisément sont des joueurs de couleur. Nul doute que dans ces crânes-là se cachent des histoires pas très drôles.

En quatre ans, ça a dû m’arriver… trois ou quatre fois ?

Il y a celle du Hostertois Kilian Amehi, qui n’en finit plus de se poser des questions depuis des années. Déjà la saison passée, son pote messin de l’US Rumelange Hervaine Moukam, avait eu droit à ce qui ressemblait furieusement à des cris de singe captés par le streaming de RTL, lors d’un match au stade Jos-Becker. «Au club, on nous a dit que ce n’était pas des cris de singe, se désole l’attaquant. Pour moi, c’en était clairement. Pour Hervaine aussi.»

Voilà qui l’a ramené encore un peu plus près de son expérience maltaise (deux ans aux Sliema Wanderers et au Pieta Hotspurs), où «les gens sont très racistes et ne s’en cachent pas». Mais il avoue ne pas avoir été dépaysé en Division nationale : «En quatre ans, des insultes racistes, je dirais que ça a dû m’arriver… disons trois ou quatre fois. La première fois, c’était des cris de singe. La deuxième, c’était « va manger une banane ». Je me demande si c’est du vrai racisme ou juste des petits rigolos qui veulent faire leurs intéressants et n’ont rien de mieux à faire. En tout cas, c’est regrettable.»

Il y a quand même une constante qu’Amehi, aujourd’hui, regrette. C’est d’avoir pris le même parti que celui de Mickaël Omosanya : il n’en a pas parlé. Aujourd’hui, Omosanya, qui dit n’avoir jamais été insulté ni en Allemagne, quand il jouait à Trèves, ni depuis son arrivée en France aux Thionville Lusitanos, le dit tout net : «Si ça m’arrivait aujourd’hui, j’irais directement parler à l’arbitre. Et s’il ne fait rien, alors je me retournerais vers mon coach. Mais en tout cas, je réagirais comme un adulte.» Amehi, lui, n’a rien dit parce qu’il «savait que cela ne servirait à rien».

La sidération est souvent à l’origine d’un laisser-faire que les joueurs noirs estiment après coup assez coupable. Yann Mabella (RFCU) et Jean-Paul Kumbi (Mondorf) le voient en tout cas comme ça, alors qu’aucun des deux n’a encore été confronté à la moindre parole de trop depuis leur arrivée au pays. «Ne pas avoir de réaction, c’est accepter, signale Kumbi. Il faut des interdictions de stade !» «Mais moi je ne suis pas pour que l’on quitte le terrain si cela arrive, précise Mabella. Ce serait donner raison à ces gens. Je préfère les identifier et qu’un rapport soit rédigé.»

Moi, c’est un président de club de DN qui m’a insulté

Quitter le terrain, exercer un droit de retrait, voilà une solution qui séduit par contre très largement Anthony Mfa, le portier de Rodange. Son «instant racisme» au Luxembourg l’a en effet conforté dans l’idée qu’il y a là un problème endémique qui ne peut pas être solutionné simplement parce qu’il touche aussi… les dirigeants. «Moi, c’est un président de club de DN, qui est actuellement dans la première partie de tableau. Sur un match, il a fait des allusions très claires, à voix suffisamment haute pour que je l’entende. Je l’ai insulté, je lui ai dit de m’attendre à la fin du match et en sortant du vestiaire, on m’a dit qu’il était parti. J’ai reçu un message, après, que j’ai toujours, un truc d’excuse auquel je n’ai pas répondu. Dans son équipe, il a plein de joueurs de couleur. Ils sont venus me voir après pour me dire que c’était courant. De là, je me suis dit que les joueurs qui ont du caractère l’ouvrent et que ceux qui n’en ont pas, qui craignent pour leur contrat, se taisent. Mais je pense qu’arrêter un match à cause de ça, si, c’est la solution. Dans ce pays, toucher au porte-monnaie des gens, croyez-moi, ça ferait changer les choses. Parce qu’arrêter un match, c’est des pertes, dans le budget…»

Il y en a un qui ne pourra pas se le permettre, c’est l’un des rares arbitres de couleur à avoir officié au plus haut niveau ces dernières années, le juge de ligne Donald Iwangou, qui n’a pas forcément envie de s’étendre sur le sujet, mais admet tout de même avoir été confronté au problème dans ces petits stades où tout s’entend : «Moi aussi, j’en ai été victime de la part de certains fans. Mais pas tout le temps, et pas partout.»

À Hostert en tout cas, Kilian Amehi assure que la riposte a déjà été discutée entre joueurs. «Tout le monde est d’accord. La prochaine fois, si ça arrive, on quitte le terrain. Pour le moment, il n’y a pas eu de « prochaine fois ».» Cela aurait-il changé quelque chose, à Wiltz, la semaine dernière. Kumbi et Mabella, qui ne veulent pas préjuger de ce qui s’est réellement passé, estiment que «vu les réactions, c’est presque sûr que des paroles qui n’auraient pas dû être prononcées l’ont été».

Kevin Malget a-t-il dépassé les limites ?

Le Progrès incrimine ouvertement l’ancien défenseur international.

Ce jeudi soir, les dirigeants wilztois et niederkornois, accompagnés des joueurs incriminés dans les incidents de fin de match (Mmaee – qui n’aurait finalement pas le nez cassé – et Malget côté nordiste, Lybohy et Sanali côté Progrès), sont au CFN de Mondercange pour s’expliquer sur les échauffourées.

Qu’en sortira-t-il ? Le Progrès a produit des documents qui ne nient pas les violences commises par ses joueurs, mais qui entendent remettre en perspective les raisons qui les ont poussés à en arriver là. Thomas Gilgemann et son comité martèlent ainsi que «des bruits de singe ont été proférés à l’encontre de Chris Lybohy, par plusieurs personnes installées dans la tribune principale», «des imitations de cris de singe qui étaient parfaitement audibles», alors que Wiltz défend l’idée selon laquelle ce ne sont que des huées mal interprétées. Niederkorn est, sur le sujet, prêt à faire témoigner sous serment le père de Clayton Duarte, en tribunes et qui est intervenu. Il dit également disposer d’une vidéo dans laquelle ces sons sont «identifiables».

C’est cependant le défenseur central wiltzois Kevin Malget qui sera sous le feu des projecteurs lors de cette audition. Puisque dans son courrier et citant son team manager, Giovanni Barnabo, Niederkorn assure que Malget serait, de lui-même, venu provoquer Sanali en lui répétant à plusieurs reprises la phrase suivante : «Retourne en Afrique». D’où la raison de la violente réaction de l’attaquant ? C’est la version que défendra le Progrès et qui écornerait l’image d’un joueur de 33 ans, 220 matches de DN, 8 fois champion, 4 fois vainqueur de la Coupe, sélectionné à 36 reprises, si d’aventure, il était reconnu coupable. Mais même si les faits étaient avérés, il semble douteux que quiconque soit en mesure d’en fournir la preuve.

Le Progrès appelle en désespoir de cause dans son courrier à se prémunir du «risque de banalisation du racisme latent et des conséquences néfastes qui en découlent sur la dignité des victimes». À ce sujet, les éventuelles conclusions et décisions du tribunal fédéral seront guettées avec énormément d’intérêt.