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Mafalda, une héroïne qui vieillit bien 


(Photo : glénat)

Icône et inlassable voix de l’indignation, petite brunette à la tignasse épaisse et à la robe rouge, créée par le dessinateur argentin Quino, Mafalda fête dimanche son 60e anniversaire. Même si, pour l’éternité, elle aura toujours six ans et décryptera le monde et la vie qui va.

Un jour, elle interroge : «Pourquoi y a-t-il des pauvres, maman?». Un autre, elle s’adresse à son père : «Qu’est-ce que ça veut dire, papa : « le monde appartient aux audacieux »?». Ou encore : «Qu’est-ce que ça veut dire, moi-même?». Elle énonce aussi quelques vérités : «Ce n’est pas que la bonté n’existe pas, mais elle reste incognito», «Nous avons des hommes de principes, c’est dommage qu’on ne les laisse jamais passer à l’acte», «La vie moderne impose des loisirs de plus en plus brefs»… Dimanche, Mafalda, petite brunette à la tignasse épaisse et à la robe rouge, fête son soixantième anniversaire même si elle est restée bloquée à six ans et n’a vécu, en strips de quatre cases, que de 1964 à 1973.

Mafalda, héroïne iconique, inlassable voix de l’indignation – pour la dessinatrice de BD Pénélope Bagieu, qui a réalisé la couverture de Mafalda mon héroïne, c’est bien simple : «Mafalda, c’était la Greta Thunberg de l’époque!». Pour l’état civil du monde de la BD, Mafalda est donc née en 1964. Elle est apparue, déjà petit gabarit et chevelure très brune, dans les pages de l’hebdomadaire argentin Primera Plana. L’auteur et «père créateur» Quino (de son vrai nom Joaquín Salvador Lavado Tejón, 1932-2020) avait répondu à une commande d’une «publicité» pour Mansfield, une marque d’électroménager. Elle ne sera finalement pas publiée, mais ressortira des tiroirs du dessinateur l’année suivante pour une publication dans la presse… Puis, il confiera ses dessins au quotidien El Mundo et au magazine Siete Dias.

Des questions encore «sans réponse»

En une petite décennie, «Mafalda a décrypté le monde de ses yeux d’enfant!», confie-t-on chez Glénat, l’éditeur en français de l’intégralité des aventures de la gamine argentine. Et d’ajouter : «Avec candeur, elle n’a cessé de révéler les injustices et souligner les paradoxes de nos sociétés. Rebelle, fine observatrice et un brin idéaliste, cette figure à l’esprit contestataire et féministe a marqué des générations de lecteurs et continue de nous inspirer». À l’occasion du cinquantième anniversaire de son héroïne honorée lors du 41e festival international de la BD d’Angoulême en 2014, Quino confiait : «Mafalda parle de problèmes d’adultes du point de vue d’enfants (…). Avant cela, je n’avais jamais dessiné de BD avec des personnages récurrents. Je faisais de l’humour avec des personnages qui changeaient d’une planche à l’autre».

Un journaliste lui posa alors la question : «Un demi-siècle après son apparition, comment expliquez-vous la notoriété mondiale de ce personnage?». Réponse du dessinateur : «Je ne le sais pas moi-même, mais peut-être est-ce dû au fait qu’une grande partie des questions qu’elle se pose sont encore sans réponse. Parfois, je me surprends de voir comment certaines histoires que j’ai dessinées alors s’appliquent à des questions d’aujourd’hui». Aujourd’hui, pour son 60e anniversaire, l’héroïne a droit à un cadeau avec Mafalda mon héroïne, un album-hommage. Pénélope Bagieu en a dessiné la couverture, Lucia Sanchez, réalisatrice du documentaire Mafalda, reviens! (2023), a écrit une lettre d’introduction («Chère Mafalda») et treize auteures (scénaristes et dessinatrices), parmi lesquelles Florence Cestac, Vero Cazot, Aude Picault ou encore Anne Simon, ont représenté en strips «leur» Mafalda.

Menacé par la dictature militaire

Et aussi la scénariste Marie Bardiaux-Vaïente : «Mafalda, c’est une héroïne singulière et un succès phénoménal. C’est rare d’avoir une fille en personnage principal qui n’est pas du tout sexualisée en plus. On peut le lire à tous les âges et on y trouve toutes les leçons à en tirer. Quand je la lisais petite, je comprenais certaines choses, et en la relisant encore et encore, j’ai soulevé toutes les couches du millefeuille». Avec l’illustratrice Maëlle Reat, quand Mafalda découvre les pouvoirs d’un anxiolytique, elle en tend un au globe terrestre… Les exégètes et autres docteurs ès Mafalda expliquent que Quino a imaginé un personnage avant-gardiste, au carrefour des années 1960-1970. Il confiait souvent qu’il souhaitait l’émancipation féminine et, très critique, pointait la situation de sa mère, «femme au foyer».

Dans ses strips, aux côtés de son héroïne défilent des personnages secondaires qui racontent la société argentine dont le quotidien était placé sous le signe de la dictature militaire. Ainsi, au hasard des pages, on peut croiser Susanita, qui rêve de fonder une famille et incarne les discours traditionnels, Manolito, chantre du capitalisme, ou encore Libertad, fervent défenseur des causes de gauche. Pour mémoire, on signalera qu’il arrivait à Quino de mettre Mafalda à contribution pour des dessins qu’il donnait ensuite à des organismes ou des associations lui tenant à cœur (Amnesty International, campagnes d’alphabétisation, Unicef…) mais que jugé subversif, il était menacé par la dictature argentine et fut, en 1976, contraint de quitter son pays.

Un style à la fois «doux et amer»

Auteure argentine de BD (entre autres, Naphtaline), Sole Otero ne cache pas son admiration pour Quino : «On peut définir son style comme « amargado », c’est-à-dire doux et amer à la fois. Il y a une sorte de malaise, un manque d’espoir, une plainte. Et en même temps, Mafalda et nombre de ses personnages sont des enfants, chez qui il y a encore une volonté de changer les choses. Il y a une sorte de tristesse, mais aussi une protestation qui sont typiques de la mentalité argentine. En Argentine, Quino nous a marqués profondément, comme Astor Piazzola et Diego Maradona, toutes ces grandes figures qui finissent par laisser une marque profonde, une façon d’être et de ressentir les choses».

Peu importe de savoir ce que je pense de Mafalda. Ce qui compte vraiment, c’est de savoir ce que Mafalda pense de moi

D’autres amateurs de BD n’ont pas manqué de noter également une analogie entre Mafalda et les Peanuts (Charlie Brown, Snoopy…) de Charles Schulz (1922-2000). Commentaire de Quino : «Mafalda parle de problèmes d’adultes du point de vue d’enfants. Schultz a été un maître en la matière, mais il faut faire une distinction : Charlie Brown est nord-américain, alors que Mafalda est sud-américaine. Il vit dans un pays prospère et une société opulente dans laquelle il tente désespérément de s’intégrer à la recherche du bonheur. Mafalda, elle, vit dans un pays frappé de nombreux contrastes sociaux et, bien qu’elle recherche le bonheur elle aussi, elle refuse toutes les propositions qui lui sont faites. Elle entretient un dialogue permanent avec le monde des adultes qu’elle n’estime pas, qu’elle ne respecte pas, qu’elle méprise et qu’elle rejette tout en revendiquant son droit à rester une enfant qui ne veut pas prendre en charge l’univers corrompu des parents».

Au moment de lui souhaiter un joyeux anniversaire, reviennent à la mémoire les mots de l’écrivain argentin Julio Cortazar (1914-1984) : «Peu importe de savoir ce que je pense de Mafalda. Ce qui compte vraiment, c’est de savoir ce que Mafalda pense de moi».

Mafalda mon héroïne.
Collectif. Glénat.

Mafalda. Anniversaire 60  ans (intégrale).
Glénat. Sortie le 13 novembre.

 

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