Depuis l’ouverture de son sentier souterrain s’enfonçant à 42 mètres dans la roche, le Musée de l’ardoise à Haut-Martelange ne désemplit pas. Visite de cet ancien site industriel vieux de deux siècles.
Casque de protection sur la tête, face à l’entrée de la galerie creusée dans le schiste, on peut déjà sentir le souffle de l’air froid qui remonte des profondeurs. Depuis un grand panneau, les visages en noir et blanc de ceux qui sont descendus là toute leur vie ou presque, nous contemplent.
Des hommes, jeunes, vieux, plus ou moins abimés, des enfants aussi. Tous bien accrochés à leur lampe à carbure. Parce qu’en bas, il y a deux siècles, quand s’ouvrirent ici les premières ardoisières, sans elle, on n’allait pas bien loin dans ce trou aussi noir que l’enfer.
Depuis octobre 2022, le Musée de l’ardoise de Haut-Martelange propose un incroyable itinéraire dans les pas de ces ardoisiers d’un autre temps.
Désormais, en plus de ses 22 bâtiments étalés sur huit hectares et transformés en lieux d’exposition, l’ancien site industriel exploité jusque dans les années 1960 embarque donc aussi ses visiteurs jusque dans les entrailles de la mine, à la découverte de l’extraction de l’ardoise.
Retour au 19e siècle. Une poignée d’entreprises se partagent la production locale annuelle de quelque six millions d’ardoises de toiture. C’est à la main qu’on débite la roche, avec un pic et un marteau. Plus tard, un outillage à air comprimé facilitera à peine ce travail de forçat.
Jusqu’à 600 ouvriers sur le site
À Haut-Martelange, en 1890, les ardoisières comme les maisons du village sont acquises par la firme Gebrüder Rother venue d’Allemagne. Un tournant dans l’activité du site. Les ateliers de production sont modernisés, et la connexion établie avec le circuit ferroviaire «Jhangeli».
De quoi assurer à la fois l’exportation des produits finis et l’importation des matières premières. Vers 1900, plus de 600 ouvriers y travaillent et c’est 12 millions d’ardoises par an qui sortent maintenant des ateliers.
À partir des années 1930, les ventes commencent à stagner avec la récession mondiale. Le lent déclin de l’industrie ardoisière luxembourgeoise s’impose dans les années 1960, alors que de nouveaux matériaux de couverture sont privilégiés, et qu’on importe de l’ardoise bon marché.
Finalement, la dernière ardoisière du pays fermera en 1986, faisant tomber le site dans l’oubli. Réanimées par un groupe de passionnés et aujourd’hui classées, les anciennes ardoisières accueillent près de 30 000 visiteurs par an, curieux de découvrir ce joyau du patrimoine industriel.
Au fil de la balade, se succèdent l’ancienne gare, le petit train, la scierie de dalles, la forge, l’ancien atelier des fendeurs chargés de diviser la roche au maillet, le pont de la décharge, les maisons ouvrières, sans oublier la somptueuse villa de la famille Rother qui vivait sur place, et son chalet de chasse.
90 minutes captivantes dans les carrières
Dernière pièce de ce puzzle grandeur nature, la galerie «Johanna» exploitée entre 1898 et 1956, qui descend à 42 mètres sous la surface, a nécessité quatre ans de travaux pour être accessible au public.
Durant 90 minutes, les visiteurs plongent littéralement dans le quotidien des ardoisiers, évoluant tantôt dans des passages exigus, tantôt dans d’immenses chambres d’extraction – on pourrait y loger deux fois la statue de la Liberté. Car après des décennies d’extraction poussée, les carrières ont fini par atteindre -168 mètres.
Au-delà des projections de films documentaires sur le mille-feuille ruisselant des parois, les cinq chambres ouvertes aux visiteurs – sur un total de 24 – constituent sans aucun doute les temps forts du parcours.
Cramponné à la rampe, on traverse la chambre 18 sur un pont suspendu au-dessus des eaux bleues souterraines, avant de pénétrer dans la 17, et de ressentir tout le vertige de sa hauteur cathédrale.
Le long des 370 marches, le souffle court, tandis que la température plafonne à neuf degrés, on mesure toute la rudesse de la tâche des ardoisiers, qui remontaient les blocs de pierre sur leur dos au 19e siècle.
Le casque qui cogne la roche
Et si des treuils verticaux et plans inclinés seront installés par la suite, cette pratique restera utilisée dans les Ardennes belges jusque dans les années 1960.
Derniers pas vers la lumière du jour dans un boyau où, par endroits, notre casque cogne la roche. Fin du voyage, avec la sensation d’avoir partagé un petit bout de la grande histoire.
Bientôt un restaurant et des gîtes
Après la création de la galerie «Johanna» financée à hauteur de 9,3 millions d’euros par l’État, trois nouveaux projets sont déjà programmés. Une enveloppe de 11 millions d’euros est ainsi prévue au budget national jusqu’en 2028.
- D’abord, la villa Rother va retrouver son éclat et donnera un aperçu de la vie dans la région à cette époque à travers photos, objets, et mises en scène. La collection de Nic Molitor, passionné de photographie, sera à l’honneur, dévoilant le quotidien des habitants et des ardoisières au début du 20e siècle. La restauration de la demeure va se poursuivre jusqu’en 2026.
- Ensuite, la cantine et l’ancien atelier des fendeurs seront transformés en restaurant avec une belle terrasse. Point fort : l’établissement sera ouvert en soirée. Ouverture en 2028.
- Enfin, il est prévu de rénover les maisonnettes ouvrières du village pour en faire des gîtes touristiques.