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[Expo] Carpentras, nouveau terrain de jeu de C215


(photo AFP)

Ce street artiste, l’un des plus connus au monde, s’ancre toujours plus dans le Vaucluse. L’Inguimbertine, unique bibliothèque-musée de France, et les murs de sa ville d’adoption l’ont accueilli généreusement. Visite.

Dès l’entrée d’un somptueux bâtiment du XVIIIe siècle, un chat dessiné de profil guette les visiteurs avec ses yeux perçants. À Carpentras, une exposition XXL illustre l’histoire d’amour entre C215, un street artiste parisien renommé mondialement, et cette commune provençale de 30 000 habitants.

L’Inguimbertine, une bibliothèque-musée unique en France, accueille ainsi dans sa «galerie royale» une partie de cet événement consacré à Christian Guémy, alias C215. S’y succèdent alors, à travers plusieurs tableaux, portraits ou autres objets du quotidien colorés, des thèmes chers à l’artiste : l’enfance, les figures de la Résistance, la poésie et le chat, son animal fétiche.

C215 est connu dans le monde entier pour ses pochoirs et fresques murales engagés, par exemple en hommage aux victimes après l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo en 2015 à Paris ou en soutien à l’Ukraine en guerre face à la Russie.

Depuis l’ouverture de l’Inguimbertine en avril dernier, «mon premier projet, c’était de la faire découvrir à un artiste contemporain», explique son directeur, Jean-Yves Baudouy. Mais pas question d’ouvrir les portes de ce lieu culturel mixte unique en France et de son trésor – près de 100 000 livres papier ou numériques, 1 200 tableaux, 500 statues et 3 400 manuscrits – à n’importe qui.

Trente-six œuvres dans la ville

«Qui parmi les artistes contemporains place le public au cœur de sa création? C’est le street artiste, qui crée dans l’espace public», sourit Jean-Yves Baudouy. Consacrer la première exposition temporaire (qui s’achève le 31 octobre prochain) de l’Inguimbertine – du nom de son fondateur Malachie d’Inguimbert, homme d’église natif de Carpentras, chargé de la bibliothèque du pape à Rome au XVIIIe siècle – à l’univers de Christian Guémy est le fruit d’une «rencontre heureuse», raconte le directeur.

«L’idée, lorsqu’on a conçu l’exposition, c’était de faire entrer l’art urbain dans le musée et de faire sortir le musée dans la ville», détaille C215 qui a un temps collaboré avec son homologue britannique, Banksy.

«On m’a laissé carte blanche complète pour organiser, à partir des murs et des emplacements qu’on pouvait me mettre à disposition, soit des reprises de tableaux de la collection du musée, soit des portraits de peintres.» Comme Pierre Paul Rubens, «un des grands maîtres de la Renaissance», représenté sur un mur de la ville au milieu d’anciens tags.

Au total, trente-six œuvres sont disséminées dans le centre ancien de Carpentras parmi les commerces et les services publics, explique le pochoiriste aux cheveux poivre et sel. «Carpentras est surnaturelle», estime Christian Guémy. «Une ville très ouverte où les classes sociales, les cultures, les langues se mélangent. Du provençal au français le plus classique ou à l’arabe maghrébin et l’hébreu», ajoute-t-il.

En effet, Carpentras fut à partir du XIVe siècle une terre d’asile pour la communauté juive, longtemps persécutée par le royaume de France, puis a accueilli diverses populations immigrées.

De Simone Veil à André Malraux

L’artiste a découvert la ville grâce à sa compagne : «Elle y a grandi, mes beaux-parents habitent ici, mes enfants, depuis leur naissance, viennent y passer toutes leurs vacances». À la bibliothèque comme en ville, l’exposition séduit tous les âges. «C’est une très belle initiative», juge Michel Bernard, 73 ans, retraité, ravi de retrouver en dessin des personnages qui ont marqué sa jeunesse, comme la ministre de la Santé Simone Veil, célèbre pour avoir fait adopter la loi dépénalisant l’IVG en France, ou André Malraux, romancier puis ministre de la Culture.

«Je ne pensais pas trouver ici une vision presque poétique de l’art dans la rue!», sourit sa belle-sœur Annie Vinter, 67 ans, professeure des universités à Dijon. Logan Vincent, 43 ans, auxiliaire de vie, a pu lui croiser C215 pour le féliciter et prendre un selfie : «Depuis des années, je vois ses œuvres sur les boîtes aux lettres de la poste, un peu partout. Et maintenant, je le vois en vrai !».

Percevoir la satisfaction des habitants de la ville répond au désir de Christian Guémy : «M’émanciper, y compris de la performance, travailler sur des choses confidentielles, moins « mainstream »». Celui qui partage son temps entre l’Île-de-France et Carpentras se donne un an pour s’installer définitivement : «J’ai acheté une maison, je ne sais pas si j’y finirai mes jours, mais c’est parti pour durer un bon moment».