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[Critique série] «Stax : Soulsville, U.S.A.», à la poursuite de l’«idéal américain»


À la moitié de ce formidable documentaire long format (près de quatre heures, divisées en autant d’épisodes par HBO), la réalisatrice, Jamila Wignot, glisse une citation de l’écrivain et militant James Baldwin, réfléchissant à la source des conflits raciaux en Amérique après l’assassinat de Martin Luther King, en 1968 : «Je ne demande pas que vous me donniez quelque chose. Je veux que vous me laissiez simplement et tranquillement le faire moi-même.» Une déclaration qui trouve un fort écho dans l’existence du label Stax, tantôt comme profession de foi, tantôt comme une mise en garde des désillusions à venir, renvoyant aussi à une chanson emblématique de l’artiste maison Rufus Thomas : Respect Yourself.

Car l’histoire du «Memphis Sound», signé par les artistes maison tels que Booker T. and the MG’s, Otis Redding ou Isaac Hayes, n’est pas seulement celle de génies musicaux; c’est aussi celle des tragédies – personnelles, historiques, financières – qui ont forgé le label. L’histoire, finalement, de l’impossible gloire et de l’inévitable déclin d’une «famille» artistique qui a mené sa propre révolution au nom d’un «idéal américain», avant de tout perdre.

Jamila Wignot défait les nœuds de l’histoire de Stax Records avec la franchise et la liberté de ton comme première arme

Stax Records avait pourtant commencé en avance sur son temps, à la fin des années 1950, dans le Tennessee ségrégationniste, quand le magasin de disques et studio d’enregistrement (à l’origine plutôt dédiés à la country) traitait à égalité leurs clients, employés et musiciens, à rebours d’un Sud encore soumis à la ségrégation. De la même manière, la philosophie de l’entreprise créée par Jim Stewart et gérée avec sa sœur, Estelle Axton («Stax» étant une contraction des premières lettres de leurs noms), tenait en quelques principes : pas de «vrai» boss, une dynamique familiale et volontariste – Isaac Hayes, Dave Porter et Booker T and the MG’s faisant office de producteurs et musiciens maison. Et, surtout, «il n’y avait pas de couleur chez Stax».

Le long de ses quatre chapitres, le documentaire défait les nœuds de l’histoire. L’aventure du label avait été précédemment racontée dans Respect Yourself : The Stax Records Story (Morgan Neville, 2007), un premier regard approfondi sur le sujet auquel on prête depuis une valeur officielle. Mais le label a été depuis ressuscité, sans compter que le temps et la prescription délient les langues. La documentariste Jamila Wignot s’acquitte brillamment de sa lourde tâche en posant un regard mieux éclairé sur le sujet. Mieux illustré, aussi. Les nouveaux entretiens réalisés pour l’occasion (avec Booker T. Jones et son groupe, Carla Thomas, Sam Moore, mais aussi les dirigeants de Stax, Jim Stewart et Al Bell, et quelques-uns de leurs plus anciens employés et collaborateurs), que l’on sent guidés par une confiance particulière, sont d’ailleurs le matériau central du récit. La franchise et la liberté de ton dont font preuve les participants ne servent pas seulement à remplir le cahier des charges de HBO; c’est une manière d’appréhender ce gros morceau d’histoire et de le figer de manière définitive après en avoir exploré toutes les joies, tous les malheurs et tous les secrets.

La musique occupe bien sûr une part prédominante de ce grand voyage. C’est elle qui a rythmé la vie de Stax Records, après tout, depuis le premier succès de Carla Thomas (Gee Whiz, en 1961) jusqu’à la consécration d’Otis Redding au festival Monterey Pop en 1967, puis des chefs-d’œuvre de la «soul music» que signera ensuite Isaac Hayes, ultime star du label. Si elle se fait entendre toujours avec le même éclat, ce sont surtout les performances filmées (magnifiquement restaurées, comme le reste du matériel d’archive) qui marquent l’esprit. Outre Monterey 67 et Wattstax (l’évènement XXL qui a réuni au Coliseum de Los Angeles, un jour de 1973, tout le «roster» du label devant des dizaines de milliers de spectateurs), on retiendra les images de la tournée européenne des artistes Stax, significative tant musicalement que politiquement. Et, si l’essentiel des documents iconographiques utilisés ici sont des photos (rarement vues pour la plupart), elles aussi racontent leur part d’histoire, sélectionnées et montées par Jamila Wignot dans une fougue créative, forcément inspirée par ceux qui ont fait l’étourdissante histoire qu’elle raconte.

 

Stax : Soulsville, U. S. A.

de Jamila Wignot

Genre documentaire

Durée 4 x 52 minutes

Max

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