Accueil | A la Une | Caritas : le danger venait-il de l’intérieur ? 

Caritas : le danger venait-il de l’intérieur ? 


L’éventualité d’une fraude au président a toujours suscité des doutes dans l’affaire du détournement de fonds. Le parquet a été rapide.  (Photo : fabrizio pizzolante)

La fraude au président vers laquelle tend le parquet est contredite par des sources bien informées. Le profil de la directrice financière, inculpée dans ce dossier, pose question.

Quand le communiqué du parquet est parvenu à l’ensemble des médias mardi dernier, informant que les virements frauduleux ont, «selon toute vraisemblance», un lien avec le procédé communément appelé fraude ou arnaque au président, les premières réactions n’ont pas tardé. La fraude au président était une éventualité qui circulait bien avant l’information délivrée par le parquet et déjà, des experts financiers, particulièrement ceux spécialisés en cybersécurité, avaient du mal à y croire.

Tous les observateurs se demandaient surtout comment la directrice financière de la Fondation Caritas avait pu se faire berner pendant cinq mois sans évoquer une seule fois verbalement les virements réalisés avec le directeur, Marc Crochet, vrai-faux donneur d’ordre. Alors oui, comme l’indiquait la radio 100,7 hier, tous les doutes sont permis. Selon nos informations qui rejoignent en tout point celles de nos confrères, la fraude semble bien venir de l’intérieur et non de cybercriminels externes se faisant passer pour le directeur dans de faux courriels.

La directrice financière, inculpée, mais remise en liberté sous contrôle judiciaire, n’était pas naïve au point d’obéir à des ordres de virements de cette ampleur qui devaient soi-disant être tenus secrets.

La fraude a nécessité des mois de préparation. Nos sources indiquent que, par le passé, de véritables tentatives de fraudes au président avaient été décelées par la direction financière, dont l’inculpée. Des tests avaient été réalisés avec l’équipe informatique auprès des employés pour estimer leurs capacités à distinguer des opérations de phishing. Les résultats ne furent pas très probants et beaucoup étaient tombés dans le panneau.

La directrice financière ne faisait pas l’unanimité au sein du personnel de la fondation et ses proches collaborateurs ont fini par demander des mutations internes, ou carrément démissionner quand ils ne tombaient pas malades. Elle semblait faire un grand ménage autour d’elle et se montrait peu encline à accepter des critiques, surtout celles provenant du directeur, Marc Crochet.

Avant même que la direction découvre le pot aux roses, à la mi-juillet, elle avait demandé des explications à l’inculpée sur l’une ou l’autre opération, mais à chaque fois elle esquivait les questions gênantes ou inventait des histoires. L’ambiance devenait lourde et ses aptitudes étaient mises en doute. À tort, visiblement, si elle est parvenue à détourner 61 millions d’euros au nez et à la barbe de la fondation et des banques luxembourgeoises, la BCEE et la BGL, qui ont fait suivre les virements jusqu’à la banque espagnole BBVA. Les noms des bénéficiaires ne correspondaient pas aux détenteurs des comptes, des lignes de crédit ont été ouvertes à hauteur de 30 millions d’euros, sous prétexte que l’État n’avait pas encore versé ses subventions. Tout cela était pourtant vérifiable.

Rapides conclusions

La personnalité de la directrice financière pose question. Son profil psychologique surtout. Quant à son mode opératoire, est-il possible qu’elle ait pu agir seule? Le parquet, trois semaines à peine après le dépôt de plainte du directeur de la fondation Caritas, a déclaré se diriger vers une fraude au président. Quant au gouvernement, le Premier ministre, Luc Frieden, s’est empressé de couper les vivres à la fondation, la condamnant à mort. Les salaires du mois d’août seront encore versés.

Pour assurer la continuité des activités en faveur des personnes les plus démunies au Luxembourg,  et après la mise en place d’un comité de crise présidé par Christian Billon, Caritas a annoncé la création de deux nouvelles structures pouvant accueillir les activités et les salariés. La première reprenant l’ensemble des activités nationales, et une nouvelle entité reprenant l’ensemble des activités liées à la coopération internationale.

Hier, l’archevêché communiquait pour la première fois sur ce scandale sans précédent après une rencontre entre Monseigneur Jean-Claude Hollerich et Christian Billon, à la tête du comité de crise mis en place le 28 juillet, accompagné par les administrateurs Marie-Christine Ries (qui représente l’archevêché au sein de la Fondation Caritas) et Marc Hengen. Un point sur l’enquête a été fait tant sur les actions que sur les démarches envisagées «pour regagner la confiance des instances étatiques et des donateurs afin de soutenir les projets d’aide nationaux et internationaux et de sauvegarder les postes au sein de l’organisation caritative».

L’archevêque a encouragé le comité de crise «à soutenir au maximum les instances juridiques pour faire la lumière complète sur cette affaire et pour mettre en place tous les mécanismes de bonne gouvernance nécessaires dans les nouvelles entités envisagées».

L’enquête suit toujours son cours, la présomption d’innocence est également de rigueur, mais la fraude au président s’éloigne, alors que ce gigantesque détournement de fonds semble avoir été ourdi de l’intérieur.