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[Bande dessinée] Zorro contre les narcos


Réinventer Zorro dans le Mexique des narcos, il fallait oser. L’Américain Sean Murphy fait revenir le vengeur masqué «d’entre les morts» dans un récit captivant et décalé, embelli par la signature graphique d’un maître des «comics».

Personnage mythique tombé dans le domaine public en 2013 puis ayant fêté son centenaire en 2019, Zorro a décidé de faire son retour en force en 2024. Une série espagnole, diffusée en janvier sur Amazon Prime Video, renouvelait ainsi le mythe du justicier masqué en mélangeant le romantisme du genre de cape et d’épée à la fidélité historique, illustrant aussi la richesse et la complexité de la société californienne du début du XIXe siècle.

Puis c’est Jean Dujardin qui opèrera son retour sur le petit écran dans le costume de Don Diego de la Vega, pour une minisérie d’aventures familiale franco-belge attendue début septembre sur Paramount+. Et entre-temps, qui voilà de retour en BD? «Un cavalier qui surgit hors de la nuit…» Ou, plutôt, «d’entre les morts», si l’on en croit le titre de l’éblouissant «one-shot» signé de l’Américain Sean Murphy, qui se réapproprie (et joue avec) la légende en transposant le personnage créé par l’écrivain Johnston McCulley dans le Mexique contemporain, toujours pour défendre les «peones» tout en fomentant sa propre vengeance face à un oppresseur qui a changé de visage.

Seul à la barre de ce Zorro – D’entre les morts, Sean Murphy réalise là un rêve de gosse. L’auteur du décapant Punk Rock Jesus (2013) a gagné du galon chez DC Comics avec Batman : White Knight (2018), classique instantané dans la mythologie du super-héros, à ranger du côté des grandes réalisations de Frank Miller ou Grant Morrison.

Et puisque le temps fonctionne de manière cyclique, rappelons que Bob Kane, créateur du justicier de Gotham City, citait comme inspiration première pour son personnage inventé en 1939… un certain Zorro. Contrairement au «chevalier noir», Zorro a, lui, peu évolué avec son temps; malgré les centaines d’œuvres cinématographiques, littéraires, illustrées, animées ou théâtrales qui l’ont mis en scène, il est resté enfermé malgré lui dans cette image de héros aventurier, intrépide et romantique, collant à la grande tradition des récits de cape et d’épée.

Il n’en fallait guère plus pour que Sean Murphy dépoussière le mythe avec la forme, et aussi la manière. Dans son récit, le village de La Vega est sous la coupe d’un cartel de la drogue; retour à la tyrannie dans le «village de Zorro», dont le peuple continue néanmoins chaque année de célébrer son héros, synonyme d’espoir. Jusqu’à ce Jour des morts où le «jefe» El Rojo décide qu’il y en a assez du «délire autour de Zorro», et assassine l’acteur qui, sur scène, rejoue les grands exploits du justicier masqué, devant ses enfants.

Rosa, l’aînée, est enlevée par le cartel, tandis que le petit Diego est recueilli par Alejandro, mentor du père et gardien de la mémoire du «vengador», dont il assure qu’il a vraiment existé. Pendant des années, les deux enfants préparent ainsi leur punition : l’une, en gardant ses ennemis proches, l’autre, en s’entraînant à devenir celui qui rendra libres les habitants de La Vega.

Proposé dans deux versions, on préférera de loin cette minisérie de «comics» compilée en un seul roman graphique dans son édition en noir et blanc, réalisée par l’auteur à l’encre. Peut-être par nostalgie des bandes dessinées d’Alex Toth (1928-2006), maître du noir et blanc, dont les aventures de Zorro ont longtemps rempli les pages du Journal de Mickey.

Sean Murphy ne pouvait que voir là une porte ouverte à sa réappropriation du mythe : il plonge son Zorro, qui évoque forcément celui de Toth en plus sombre, dans un univers graphique qui célèbre l’héritage culturel du héros (Guy Williams, l’acteur mythique de la série produite par Disney, est cité, de même que les silhouettes d’Antonio Banderas et Alain Delon). La finesse d’exécution du dessin, qui fait la part belle aux scènes d’action et à de généreux décors, trouve, elle, un bel équilibre avec la patte «punk» de l’auteur.

Chez Sean Murphy, le monde se divise en deux catégories : ceux qui «croient» à Zorro, et ceux qui n’y voient qu’un vulgaire personnage de divertissement. Avec son langage chevaleresque drôlement décalé, ce Zorro-là a autant à voir avec ses plus anciennes incarnations qu’avec Don Quichotte : il se lance à la poursuite des cartels épée en main, au galop sur son éternel Tornado, face aux mitraillettes et aux véhicules blindés des méchants.

À ses côtés, Rosa, qu’on devine inspirée de Tank Girl, nous fait bien vite oublier le fidèle Bernardo; en conservant le secret de son frère, elle aussi est, en quelque sorte, «muette». Mieux qu’une résurrection inattendue, Zorro – D’entre les morts prouve définitivement la pertinence d’un mythe qu’on a trop longtemps voulu conserver en l’état. «¡Viva el Zorro, y viva Sean Murphy!»

Zorro – D’entre les morts, de Sean Murphy. Urban Comics.

L’histoire

Dans la ville mexicaine de La Vega, tout le monde honore la mémoire de Zorro qui, 180 ans auparavant, aurait signé le porche de l’église de son célèbre Z. Tout le monde, sauf les cartels. Ces derniers voient d’un mauvais œil cette célébration populaire, symbole de révolution, au point d’assassiner l’acteur chargé de cet hommage.

Vingt ans plus tard, ses deux enfants, Rosa et Diego, finissent par recroiser le chemin du cartel parricide et doivent se rendre à l’évidence : l’heure de la vengeance a sonné.

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