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[Exposition] Alfredo Cunha, photographe humaniste


Ce qui fascine surtout dans le travail de l’artiste, c’est sa façon de capter le regard, d’un côté comme de l’autre de l’objet photographique. (Photo : alfredo cunha/spa 2024)

De la révolution des Œillets aux portraits du président Mário Soares, le MNAHA expose 50 ans de carrière du photographe portugais Alfredo Cunha.

Inaugurée le 25 avril dernier, au 50e anniversaire de la révolution des Œillets, l’exposition historique «La révolution de 1974. Des rues de Lisbonne au Luxembourg» a trouvé depuis ce mois de juillet son pendant artistique, avec la mise en lumière du travail d’Alfredo Cunha, photographe de son état – et de son État, le Portugal. Soit un retour sur cinquante ans d’une carrière qui a commencé par cet évènement politique majeur : le coup d’État militaire qui a renversé le dictateur António Salazar, ce 25 avril 1974, ouvrant la voie à un processus démocratique.

À l’époque photoreporteur pour le quotidien national O Século, et âgé de vingt ans, Alfredo Cunha sort dans les rues de Lisbonne avec son appareil, «quarante rouleaux de films en poche» et «la certitude qu’il fallait tout couvrir». Il ne retrouvera son appartement que trois jours plus tard, ayant entre-temps capturé les instantanés les plus emblématiques de ce moment historique.

«Le 25 avril 1974 est un jour mémorable qui va déterminer toute ma carrière et (…) permettre (aux Portugais) de vivre enfin en démocratie», analyse, à 50 ans de distance, l’artiste, dans un entretien avec Sonia Da Silva. La responsable de communication auprès du MNAHA a contribué à la venue de cette exposition créée en novembre 2023 au Museu do Neo-Realismo, au nord de Lisbonne, où elle s’est achevée au mois de mai. «C’est la première fois que j’expose au Luxembourg, remarque Alfredo Cunha, et je suis très honoré que précisément cette exposition (NDLR : sous le commissariat de David Santos, directeur du musée portugais) fasse le voyage.» Il ajoute s’être toutefois déjà rendu au Grand-Duché pour son travail, à l’occasion d’un reportage sur l’immigration portugaise, puis d’un voyage officiel du président Mário Soares, en 1988.

Révolution et décolonisation

Des scènes de foule dans les rues de la capitale portugaise et un célèbre portrait du capitaine Salgueiro Maia, héros du 25 avril, émaillaient déjà la rétrospective historique sur la révolution des Œillets proposée par le musée (en cours jusqu’au 5 janvier 2025, comme cette exposition). On les redécouvre dans une scénographie sobre et intimiste, les œuvres dévoilant sous les spots toute leur profondeur. Alfredo Cunha compose, capture puis recadre ou retouche le résultat final de manière à faire apparaître dans un noir et blanc tranchant la réalité qui s’est déroulée devant son objectif, au plus près.

Après le 25 avril, Alfredo Cunha devient le grand photoreporteur de la décolonisation portugaise. En Angola, au Mozambique, à São-Tomé-et-Príncipe ou en Guinée (où il est «fait prisonnier puis expulsé pour avoir photographié des soldats qui exhibaient des drapeaux blancs», se souvient-il), il documente les zones de guerre. Mais le plus fameux cliché de sa série Descolonização (1975) est pris à Lisbonne : un paysage urbain obstrué par d’énormes caisses, qui renferment les derniers objets et matériaux volés par les ex-colons.

L’œuvre résonne particulièrement fort au MNAHA, qui a longuement exploré le sujet. Le photographe note que «l’effervescence» au lendemain de la révolution «faisait écran sur ce qui se passait dans les anciennes colonies». Comme certaines photos prises le 25 avril, nombre d’images produites alors qu’il suivait le processus de décolonisation seront censurées, mal considérées, mises au rebut, pour refaire surface des années plus tard.

L’art du regard

Ce qui fascine surtout dans le travail de l’artiste, des portraits de Salgueiro Maia à ceux de parfaits inconnus, en passant par des scènes de vie qui se substituent aux scènes de mort en Roumanie (1989), en Irak (2003) ou au Timor oriental (2006), c’est sa façon de capter le regard, d’un côté comme de l’autre de l’objet photographique. Une particularité de l’artiste qui, plutôt que de jouer avec les yeux du sujet (comme on pourrait le croire devant cette photo d’une dame âgée portant un loup), cherche à capter leur vérité profonde, même lorsqu’ils fuient l’objectif.

Ainsi, c’est une superbe galerie de portraits représentant des figures des mondes culturel et politique portugais – l’écrivain José Saramago, l’actuel secrétaire général de l’ONU, António Guterres, ou encore le président Mário Soares, dont Cunha fut le photographe officiel, représenté ici dans une pose de travail décontractée et sans chaussures – qui clôt cette brève mais importante rétrospective.

«La jeune génération ne s’imagine pas ce que c’est que d’être totalement privé de liberté», martèle Alfredo Cunha, 70 ans, qui rappelle que dans ses jeunes années, sous la dictature, «le Coca-Cola était interdit (et) il fallait une autorisation pour avoir sur soi un briquet». Une privation qui a volé en éclats lors de ses premières années de travail dans un contexte explosif : voilà qui suffirait à expliquer l’humanisme qui se dégage de toute son œuvre.

Jusqu’au 5 janvier 2025. MNAHA – Luxembourg.

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