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[Album de la semaine] JPEGMafia chauffé à blanc


Difficile de dire si l’album passe pour le meilleur de son auteur; au vu des choix créatifs et de la technique déployés, il a de quoi s’asseoir à côté de Veteran, au rang des futurs classiques.

Cinquième album solo de JPEGMafia, I Lay Down My Life for You mêle rap et metal dans lequel il laisse par moment éclater une colère profonde tout en sachant donner une résonance chargée en émotion.

Reconnu aujourd’hui par nombre de ses pairs, on prédit pour JPEGMafia de rester dans les mémoires comme le grand mage noir du rap américain de ce premier quart de siècle. Depuis son deuxième album, Veteran (2018), le rappeur-producteur ayant émergé sur la scène de Baltimore n’a de cesse de repousser les limites de ce que permet le genre – ce qui lui a valu la reconnaissance de noms tels que Gorillaz, Kanye West, Flume, Brockhampton ou Tkay Maidza.

L’année dernière encore, un album commun avec Danny Brown, Scaring the Hoes, poussait à fond les potards de la bizarrerie tout en s’imposant presque naturellement comme le futur du rap en tant que forme d’art subversif – donc militant. Ses textes, écrits selon une tradition qui mêle «ego trip», réflexions personnelles, apartés et humour au millième degré, laissent paraître en filigrane un rejet des «valeurs actuelles» de l’Amérique, et participent au moins autant à l’aboutissement de son «rap gothique» que ses explorations musicales survitaminées, notamment cuisinées à base de superpositions et détériorations de sons.

Une dramaturgie musicale franchement revigorante

Abonné au sarcasme, Barry Hendricks, alias JPEGMafia, est pourtant on ne peut plus honnête quand il annonce, dans le titre de son nouvel album, qu’il dévoile sa vie en l’offrant à la musique. Entrée en matière : «Si j’étais un joueur NBA, je serais Dillon Brooks, en pire», glisse-t-il, en référence au basketteur canadien connu pour provoquer avec insistance les joueurs adverses sur le terrain. Comprendre : si JPEGMafia doit ouvrir sa boîte à secrets, il le fera à sa manière, avec du bruit, de la fureur et une dramaturgie musicale franchement revigorante.

À l’écoute de ce cinquième album solo, on est forcé de penser aux ratés de Kid Cudi (Speedin’ Bullet 2 Heaven, 2015) et Lil Uzi Vert (Pink Tape, 2023), passés complètement à côté de leur mariage rap-rock. Sur un concept similaire, JPEGMafia s’impose par la voie extrême : celle du metal, qui enflamme l’album et deux titres en particulier, énormes démonstrations de force : Sin Miedo, aux riffs rugissants mariés à un «baile funk» tapageur, et Vulgar Display of Power (en référence à l’album culte de Pantera, sorti en 1992), dont le refrain – «I bring the pain», répété en boucle – est accompagné par des «screams». À propos, le jeu de guitare diabolique d’Alex Goldblatt (producteur pour Lil Nas X, Snoh Aalegra, Roddy Ricch…) sonne comme si la présence tranchante de l’instrument était innée, dans ce paysage sonore réputé sans concessions.

Si j’étais un joueur NBA, je serais Dillon Brooks, en pire

Fidèle, donc, au titre de son disque, celui qui comptera parmi ses nouveaux surnoms celui de Jihad Joe (autre tube bien «heavy») laisse éclater une colère profonde, tandis qu’il réfléchit à son expérience au sein des Marines sur la boucle d’orgue malade d’Exmilitary, ou quand les accents electronica de New Black History servent de théâtre décalé à ses élucubrations du ghetto (servies avec supplément Vince Staples, en feu). À plus forte raison encore que Scaring the Hoes (parce qu’en solo), I Lay Down My Life for You est en tout point la déclaration artistique définitive du sorcier JPEGMafia.

Avec son dernier tiers, l’album donne à son titre une résonance plus chargée en émotion. Pour autant, ni la simplicité de ce blues obscur des années 1970 (en réalité généré par IA) samplé dans Either On or Off Drugs, autoanalyse honnête de sa dépendance (ou pas) aux stupéfiants, ni celle d’une boucle scintillante qui le renvoie glorieusement à son New York natal (une bombe naturellement titrée Loop It and Leave It) ne sauraient contester la virtuosité de l’artiste, d’un côté de la cabine comme de l’autre.

Difficile encore de dire si l’album passe pour le meilleur de son auteur; au vu des choix créatifs et de la technique déployés, l’album a en tout cas de quoi s’asseoir à côté de Veteran, au rang des futurs classiques.

JPEGMafia, I Lay Down My Life for You. Sorti le 1er août. Label indépendant. Genre rap / metal

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