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Les Francofolies prennent leurs aises


(Photos : vincent lescaut/l’essentiel)

Plus étendues, plus denses et plus pentues aussi, les Francofolies d’Esch-sur-Alzette ont une nouvelle fois montré le potentiel qu’offre le parc du Gaalgebierg. Les 40 000 festivaliers présents sur le site en attestent.

Un festival, ça se mérite! Particulièrement celui des Francofolies d’Esch-sur-Alzette, dont les envies conjuguées de reconnaissance et de croissance ont pris tout le week-end des chemins pentus. En investissant les hauteurs du Gaalgebierg pour prendre de l’ampleur et ses aises, le rendez-vous a en effet donné des sueurs aux moins préparés. Du côté du camping, on s’essaye à la mesure, aux calculs incertains. «C’est une côte à 15 %, non?», lâche Laurent, Belge venu se perdre au Luxembourg, qui a bien du mal à gérer son souffle et son verre de bière qui déborde de partout.

Oui, ça grimpe, depuis le point le plus bas (les bornes d’arcade) jusqu’au plus haut (les food trucks). Mais l’effort vaut le coup, toujours selon le spécialiste wallon qui s’y connaît, comme beaucoup des siens, en matière de musique et de festivals. L’avis est largement partagé et, dans le florilège des réactions glanées entre deux montées, on pourrait résumer la manifestation à quelques-unes, majoritaires : «c’est propre», «c’est tranquille» ou encore «c’est joli».

Oui, les Francofolies «made in Grand-Duché», c’est un peu tout ça à la fois : un endroit où l’on vous accueille avec des cendriers de poche au cœur d’un jardin fraîchement entretenu (qui se respecte donc). Un lieu où l’ombre ne manque pas, tout comme les recoins pour se poser. Une place, enfin, simplement agréable à arpenter, entre sa longue fontaine, ses arbres et ses espaces verts, collant parfaitement à la philosophie écologique de la manifestation. Une conscience d’ailleurs partagée par l’une des têtes d’affiche, Shaka Ponk, groupe qui s’arrête justement de tourner pour se consacrer à ses engagements environnementaux.

À l’image d’autres festivals, ancrés dans les nécessités de l’époque, les Francos soignent l’écrin, au même niveau que son contenu. À cela s’ajoute une volonté de gagner en portée, après un démarrage manqué et une édition de 2021 au rabais (mesures sanitaires obligent). Si les deux dernières lançaient enfin la dynamique espérée, il était question cette année de la consolider, de corriger les problèmes rencontrés jusque-là et d’imaginer des solutions pour grandir, indice qu’un festival se porte bien et surtout, avance.

Contrairement aux évaluations arbitraires du degré de la pente, d’autres chiffres de cette mouture 2024 ne trompent pas, surtout quand ils sont avancés par Loïc Clairet, son coordinateur général. Il égrène : un site agrandi de quasi 50 % (pour une surface exploitable de 43 200 m2), des gradins qui disparaissent de la grande scène, une troisième supplémentaire, dite la «scène penchée», dominant un public compacté dans une cuvette, sans oublier le nombre de food trucks multiplié par trois et des bars gérés par des spécialistes des festivals (pour répondre aux problèmes d’attente et de circulation, gros points noirs de l’édition précédente).

Évidemment, l’auditoire et la programmation suivent la même ascension. D’un côté, 40 000 personnes réparties sur trois jours et demi (contre 25 000 en 2023), en comptant ceux des lieux périphériques (le théâtre d’Esch et la Kulturfabrik). De l’autre, quatre artistes ou groupes de plus par jour, soit 44 au total.

Shaka Ponk fait péter les plombs

Parmi les 35 présents au Gaalgebierg, une s’est fait remarquer par sa ponctualité sportive : il était 16 h 41, samedi, lorsque Zaho de Sagazan a été aperçue tapant un sprint depuis les loges – sur les hauteurs du parc – jusqu’à la grande scène, où elle était programmée quatre minutes plus tard. Un an après avoir joué en toute confidentialité (devant 120 personnes) en première partie d’Émilie Simon au théâtre d’Esch, la chanteuse de La Symphonie des éclairs a fait son retour aux Francos en ouvrant la deuxième journée sous le soleil, et loin des têtes d’affiche – ce qui a provoqué une certaine incompréhension chez nombre de festivaliers.

«Quand on l’a bookée, il y a un an, elle n’avait pas encore explosé», nous éclaire-t-on, côté organisation. Mais ce n’est là qu’un faux rendez-vous manqué : sensible ou électr(on)ique, celle qui s’est imposée en un rien de temps comme l’héritière du trône de la chanson française a enchanté de bout en bout, devant un parterre rempli. Ses au revoir, au son d’une reprise de 99 Luftballons qui a attisé les passions, sonnaient d’ailleurs comme une promesse de retour, avec son nom en grand.

S’il y a toujours l’une ou l’autre anecdote à relever en coulisses, vu de l’autre côté, rien à déclarer : les festivaliers distribuent des bons points pour un déroulement au cordeau qui, marié à la générosité des musiciens sur scène, prouve encore que tout le monde, public comme artistes, est tombé amoureux de la formule proposée par les Francofolies. Et quand il s’agit de générosité, difficile de désigner un vainqueur : la fanfare techno Meute tirait la bourre aux joyeux lurons de Bagarre, provoquant les mêmes déchaînements insatiables à l’intérieur d’une foule compacte. Avec de tels noms, rien d’étonnant.

Est-ce que le Luxembourg est le pays des puta madre?

Mais il est difficile d’oublier la performance survitaminée de Shaka Ponk, samedi soir, à tel point que, durant les vingt premières minutes du concert, le courant a sauté à deux reprises. Au sens figuré, les plombs ont aussi pété un peu partout dans le public, en guise de réponse à la question de Frah, le chanteur du groupe monté sur ressorts : «Est-ce que le Luxembourg est le pays des puta madre?» Et de se jeter dans le public, où les pogos ont essaimé un peu partout.

Cyclones queers et princes du rap

Entre deux bains de foule, c’est encore Shaka Ponk qui a lancé, au détour d’une de ses déclarations engagées et enflammées : «Aujourd’hui, dans ce pays, être différent est la plus belle des choses!» Encore une fois, l’écho résonne au creux de la programmation, avec les cyclones queers Baby Volcano et Eloi qui ont déferlé, toujours samedi, sur la scène du jardin. De quoi détonner avec les nouveaux princes du rap français acclamés la veille dans le bruit et la fureur. Pour Tiakola, La Fève, Luther ou encore Luidji, «foutre le bordel», ainsi qu’ils ont encouragé le public à le faire, a été une formalité. Mais à la fin, c’est bien Ninho, la tête d’affiche de cette première soirée, qui a conjuré sa réputation de piètre artiste live par un show sans accroc et à la vitesse supersonique. Même l’avion en arrière-scène n’a pas supporté les turbulences.

Justement, dans un monde où tout file, la fin d’un festival en appelle vite un autre. Quid alors de 2025? Si Loïc Clairet s’impatiente de dévoiler ses deux têtes d’affiche déjà signées, il promet que les Francos garderont «les pieds sur terre», évitant l’appel de l’expansion à tout crin qui a mis sur le flanc nombre de manifestations. De toute façon, le Gaalgebierg, zone protégée, ne peut «plus trop grandir» et la philosophie écoresponsable affichée ne le permet pas. Lui mise plutôt sur d’autres paramètres : développer une synergie plus forte avec la ville en contrebas, stabiliser les acquis, améliorer ce qui cloche encore et, fantasme de tout rendez-vous de la sorte, «être reconnu et complet sans problème».

Si sa notoriété naissante pourrait lui permettre de voir plus grand (certaines boîtes de production appellent directement les Francos pour leur proposer leurs artistes de renom, confie-t-on dans l’organisation), gageons qu’il saura se persuader de rester à taille humaine. À l’image de la superstar David Guetta, qui a ponctué le week-end devant un parterre de 15 000 personnes, le festival prouve que l’on peut (et doit) rester mesuré dans ses envies de croissance, ne serait-ce que pour préserver la beauté des lieux et l’expérience des festivaliers. À ces derniers, toutefois, un dernier conseil : travailler les cuisses!

 

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