De la musique baroque à la drum and bass, en passant par la musique des Balkans, le chant lyrique, le trip hop et, bien sûr, le metal, la musique d’Igorrr a une saveur à la fois sauvage et grandiose.
Gautier Serre, qui a désormais bien intégré à ce projet démarré seul (en 2005) un groupe complet, dont une chanteuse lyrique, a fait son premier passage au Luxembourg hier, en préambule des Francofolies Esch. «Il y a du metal dans Igorrr, mais Igorrr n’est pas un groupe de metal», prévient le musicien, pourtant très proche d’un genre musical dont il se réapproprie la sauvagerie. «En fait, beaucoup de genres peuvent se fondre dans Igorrr. Sauf le jazz et le reggae, que je déteste!» L’occasion d’interroger le tout jeune quadragénaire (il a fêté ses 40 ans mercredi) sur sa musique, ses références ou encore son évolution de DJ à «bandleader».
Avec la multitude de genres qui infusent dans Igorrr, comment définiriez-vous votre musique?
Gautier Serre : Ça n’est pas vraiment définissable, pas autrement que par son nom propre, c’est-à-dire Igorrr. Malheureusement pour nous, il n’y a pas un style en particulier qui se dégage du projet. Il y a des riffs metal, des morceaux metal, mais ça n’est qu’une partie d’Igorrr.
Malheureusement pour vous?
(Il rigole.) Oui, ce serait tellement plus facile pour nous qu’on fasse un style connu, représenté par des magazines qui parlent de ça, un public dévoué… Bien sûr, on a été très largement adopté par la scène metal, mais musicalement parlant, il y a aussi de la musique baroque, de l’electro, des influences des Balkans et d’Afrique de l’Est…
Vous avez aussi fait un détour par la musique de film, avec le biopic musical Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc (Bruno Dumont, 2017). Le cinéma peut aussi être une influence pour votre musique en studio?
Ce que je cherche avec Igorrr, au-delà de faire de la musique qui me plaît, c’est de trouver des choses qui n’ont pas été faites. Quand Bruno Dumont m’a proposé Jeannette, j’ai dit oui direct, car ça ne ressemblait à rien qui existait. Des comédies musicales dont la star est une jeune chanteuse non professionnelle, qui chante sur du doom metal, c’est vrai qu’il y en a peu (il rit).
Toutes les manières de m’exprimer par la musique me plaisent, mais les meilleures, ce sont celles qui sont nouvelles. Je suis lassé de toute la musique qui sort aujourd’hui; il y a peut-être plein de choses très cool, mais je me retrouve très facilement fatigué d’entendre toujours les mêmes sonorités, les mêmes instruments, les mêmes couleurs, les mêmes mix… Alors, je suis en perpétuelle recherche de nouvelles manières de m’exprimer par la musique, et c’est littéralement ce que Bruno Dumont m’a demandé de faire pour Jeannette.
Parti d’un DJ tout seul, Igorrr s’est mué en “full band”. Est-ce que ce changement de formation a bousculé vos habitudes?
Ça n’a jamais vraiment changé, dans le sens où je continue à composer les morceaux. Avant, quand je faisais ça tout seul et sans aucun budget, je trouvais les samples et les instruments MIDI qui me faisaient ce que je voulais. En gros, j’étais dépendant d’ordinateurs. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler avec de très bons musiciens, avec qui j’ai la possibilité de pousser le concept encore plus loin.
C’est vrai qu’on est un groupe, mais le fonctionnement n’a jamais vraiment changé, dans le sens où je continue de composer les morceaux que les musiciens interprètent. Plus on joue ensemble, plus on apprend à se connaître. Ils savent que dans Igorrr, il y a des trucs qui marchent, d’autres qui ne marchent pas, donc on a peaufiné notre truc jusqu’à arriver à un truc qui marche très bien. Ce qu’on fait aujourd’hui, ça correspond à ce que j’aurais aimé faire au début d’Igorrr.
En studio et devant un public, vous devez tout de même sentir une autre énergie, non?
Ah oui, carrément! M’entourer de personnes si talentueuses, ça veut aussi dire aller plus loin dans le détail : il n’est pas rare que l’un ou l’autre me propose des petites modifications qui enrichisse le morceau et qui apporte une plus-value à cette entreprise folle. La différence est qualitative : comparé aux limites techniques auxquelles je me heurtais seul, maintenant, je me sens vraiment libre de proposer ce que je veux. Quant au public, c’est à chacun de le dire : certains préfèrent les premiers albums, peut-être plus “punk”. Moi, je trouve que la musique qu’on fait aujourd’hui est plus précise, plus forte, bref, mille fois meilleure… mais c’est une question de goût.
Vous sentez-vous un peu “control freak” sur les bords?
Je ne sais pas… C’est vrai que j’ai ce côté obsessionnel, à passer des mois et des années sur un mixage jusqu’à ce qu’il soit parfait, mais ce qui m’intéresse dans Igorrr n’est pas de faire un morceau techniquement parfait. Ce qui m’intéresse, c’est de sentir l’énergie d’Igorrr. J’ai toujours ce fantasme très personnel d’avoir la musique parfaite : je peux embêter le batteur ou le guitariste une semaine entière sur un petit riff pour arriver à un résultat que j’estime parfait.
Est-ce pour vous sentir plus proche, ou plus fidèle à vos inspirations? De Domenico Scarlatti à Cannibal Corpse, d’Aphex Twin à Chopin, tous les noms qui vous inspirent sont aussi synonymes d’excellence, chacun dans leur domaine…
Je ne me permettrais pas de parler d’excellence, mais il y a en tout cas cette recherche d’une musique « personnellement parfaite », qui me corresponde dans les moindres détails. Tous les albums d’Igorrr ont été travaillés dans ce sens-là. C’est un long chemin, il faut essayer, se planter, se replanter… C’est beaucoup de travail, et c’est pour ça que chaque album d’Igorrr demande des années. Sans rire, pour certains morceaux sur lesquels je travaille actuellement, j’en suis à la version 350. C’est un travail de fourmi qui s’étale dans le temps. Je sais que, commercialement, ce n’est pas idéal (il rit) : vu de l’extérieur, je travaille cinquante fois plus que tout le monde pour un résultat qui est moindre, mais je fais ça pour la musique. On ne pourra jamais me dire que je fais de la musique pour l’argent, sinon, j’aurais fait de la musique complètement différente !