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[Le portrait] Romain Ruffier : Jours «feria» pour le soldat


20210807 ; Match BGL LIGUE; RFCU X Swift - Photo Melanie Maps / Le Quotidien

Romain Ruffier, le portier champion du Luxembourg avec Differdange va continuer à jouer au RFCU… en devenant directeur sportif en même temps. On ne peut pas être plus au centre de l’arène.

Romain Ruffier est joueur. Le plus curieux de tous les jeux qu’il maîtrise le ramène chez lui, à Béziers et s’appelle le «taureau-piscine». Dans ce pays de tauromachie, on s’amuse à lâcher des hommes et l’un des mammifères les plus dangereux du coin sur une place circulaire. Mais parce que ce seul énoncé ne suffit pas toujours à faire un jeu, on rajoute une piscine au milieu. «Le but, c’est de lui toucher la queue ou les cornes, voire de l’amener dans la piscine», énonce le gardien, qui a pris part à nettement plus de matches de BGL Ligue que de corridas, et pour cause : «Quand j’étais dans l’arène, je restais prudent. Je ne voulais pas mettre ma carrière en jeu. À Béziers, j’en ai vu, des téméraires. Moi, je restais à distance. Tant qu’il y avait la piscine entre le taureau et moi… Parce que franchement, faire tout ça pour un lot qui se trouve être une bouteille de vin. Et en plus pas du bon… Non, je ne mets pas ma vie en jeu pour une bouteille de vin ! Le rapport qualité-prix n’est pas assez élevé.» Ruffier est joueur, donc, mais il aime aussi pouvoir estimer les risques.

Il va quand même en prendre un, cet été. Sans vachette, mais avec de l’eau froide. Il n’y a en effet certainement pas beaucoup de joueurs, dans l’histoire du football, qui ont déjà connu le luxe trompeur dans lequel s’apprête à vivre Romain Ruffier.

Tiens, prenons un autre jeu : le concept fantasque d’entraîneur-joueur ! C’est déjà une sacrée rareté, voir un anachronisme. Mais en ce mois de mai 2024, le RFCU a décidé d’encore plus briser les codes, d’abolir les frontières comme jamais et d’aller au-delà! Le club de la capitale, qui venait d’échouer dans sa proposition formulée au tout frais champion du Luxembourg de rempiler en tant que simple portier, a fini par accepter la contre-proposition d’un homme qui a conquis deux Coupes (2018 et 2022) sous ses couleurs : revenir en tant que gardien du temple ET directeur sportif.

Un poste que Ruffier savait être à pourvoir dans l’organigramme du Racing. Il le voulait, il l’a eu : Karine Reuter a dit banco. Il a touché les cornes et remporté la bouteille de pinard : le voilà devenu le premier joueur du Grand-Duché à choisir lui-même son coach et ses coéquipiers. Et à avoir en même temps potentiellement le droit de les virer…

Un joueur avec le pouvoir d’un dirigeant. La perspective est limite schizophrénique. Et il y a actuellement au pays un futur coach du Racing qui ne sait pas encore qu’il devra prochainement donner des ordres… à son patron. De son côté, Ruffier, qui a jusque-là toujours «refusé de prendre part aux réflexions sur d’éventuels changements de staff» et systématiquement demandé à ses dirigeants de «ne surtout pas appeler s’ils veulent avoir mon avis sur ce genre de question», va devoir forcer sa nature de «petit soldat meneur de troupe. J’ai un côté militaire qui aime appliquer les ordres de la direction». Désormais, cela va être son boulot même s’il n’aura «qu’une ligne de salaire sur la feuille de paye jusqu’à raccrocher les gants : celle de joueur». Il n’empêche, dans l’arène, maintenant, il devra se charger de tout.

Tant qu’il y avait la piscine entre le taureau et moi…

La direction a encore fait évoluer le concept. Après la mégalomanie mal récompensée d’un effectif plein de pros jusqu’en 2023, après l’austérité d’un groupe constitué uniquement avec des jeunes peu coûteux et qui n’aura finalement vécu qu’une saison, l’arrivée de Ruffier signe l’entrée dans une ère intermédiaire : «En sept ans dans ce club qui me tient à cœur, j’avais trop souffert de voir des joueurs venir pour les mauvaises raisons, c’est-à-dire l’argent. On ne fera plus l’erreur de trop les payer.

Et on va construire un groupe restreint comme à Differdange ou Strassen.» À 34 ans, Ruffier vient en effet de se payer une master class d’un an du côté du FCD03. Avec un président, Fabrizio Bei, un directeur sportif, Rémy Manso et un coach, Pedro Resende. Ils ont fixé un salary cap de 2 500 euros par tête de pipe qui a accouché d’un titre. Pour un joueur du RFCU «grande époque» (c’est-à-dire dépensier), cela ouvre les horizons : on peut faire beaucoup mieux avec moins du moment qu’on a l’homme qu’il faut pour animer l’ensemble.

À l’écouter, Romain Ruffier est quand même entré en football avec un esprit borné et solitaire. Après avoir hésité dans sa prime jeunesse entre faire avant-centre ou gardien de but, il a suivi son caractère pour éviter les conflits : «Si j’étais n° 9, que je courais et que je voyais les autres à côté de moi ne pas se dépenser autant, ça me « tendait »». Il a donc opté pour l’isolement du gardien qui ne doit presque rien qu’à lui de bien faire ou non le boulot. «Un sport individuel dans un sport collectif», pour lui qui est accro au tennis ou au golf.

Après tout, il y a un atavisme familial : papa est un ancien pro de très haute volée. Il a joué dans le Bordeaux des Jean Tigana, Bernard Lacombe, Raymond Domenech, Dieter Müller ou Alain Giresse. Mais aussi en équipe de France espoirs avec des pointures des années 80 (Bernard Zénier, José Touré, Claude Puel ou Yannick Stopyra). Il a même été appelé une fois chez les A, s’asseyant sur le banc et regardant Michel Platini préparer le Mondial-1982 contre la Hongrie, en amical.

Après cette riche carrière, Richard Ruffier s’est senti obligé de s’occuper de son fils quand, à l’âge de 12 ans, il a été question de lui trouver un centre de formation. «Pendant une année, on a eu une relation dure, exigeante, compliquée, avoue Romain. Il m’entraînait à l’ancienne, avec des séries de 10 à 15 répétitions. Genre tu plonges, tu te relèves puis tu replonges, puis tu te relèves… Alors qu’aujourd’hui, c’est deux ou trois maximum. Lui et moi, on s’envoyait chier à la moindre occasion. Parce que j’avais relâché un ballon, parce qu’il avait tiré à côté. Pendant un an, ça a été intensif.»

Quand Metz a pris Romain, à 13 ans, le secteur de la formation grenat a senti le bénéfice : tout le monde sur place le voit vite abandonner à cause de l’éloignement et «du manque de soleil», lui qui a grandi à Nîmes et Béziers notamment. Le petit Romain tient. Et s’offre une part de rêve de cinq ans en Ligue 2. Croisant notamment sur le terrain le chemin d’attaquants comme Sadio Mané, Sébastien Haller, Miralem Pjanic ou encore Sylvain Wiltord. Ce dernier est toujours un ami et les deux jouent encore au tennis à Paris, de temps à autre. «Le gars, je le prenais à la Playstation et un jour il rentre dans le vestiaire, me serre la main et me dit, à moi, « enchanté »». Coup de soleil instantané.

Aujourd’hui encore, le Sud manque au gardien. Ça ne s’est jamais arrêté. Il lui manquait quand, à 13 ans, il s’est retrouvé au centre de formation messin à attendre chaque soir dans une cabine téléphonique de pouvoir joindre sa famille en sachant que ses copains, eux, traînaient à la feria. Il lui manquait quand, à 16 ans, il a eu l’idée un peu naïve, étant mauvais chanteur, de se lancer dans une interprétation de la Petite Marie de l’icône agenaise Francis Cabrel, un tube des ferias estivales, devant tout l’effectif pro du FC Metz.

«Je ne connaissais pas beaucoup de joueurs et tout le monde me regardait sans rien dire. C’était gênant. Ma mère, qui était montée me voir et était là quand j’ai reçu le coup de téléphone qui me disait que j’étais convoqué pour la première fois, aurait dû me dire de ne pas chanter ça.» À Differdange, face au melting-pot de langues et de cultures qui l’attendait, il a été très consensuel et privilégié l’efficacité pour son bizutage. Ce fut Freed from Desire, de la chanteuse Gala, «et après trente secondes, tout le monde chantait». Cela n’a pas amené plus le soleil au-dessus du Parc des sports d’Oberkorn, mais ce petit moment gênant – même loin de Cabrel –, a constitué l’une des nombreuses contributions pour souder un groupe auteur d’une saison exceptionnelle. Maintenant que Ruffier sait comment percer les nuages, le Racing n’a théoriquement plus l’excuse du mauvais temps. Sus à la vachette !

En bref

Né à Nîmes le 4 octobre 1989, Romain Ruffier a été formé au FC Metz, où il a effectué ses premiers pas professionnels. Passé ensuite par Amiens (8 matches de Ligue 2) et Rouen, il approche désormais les 300 matches en BGL Ligue, où il est arrivé en 2013, à Wiltz. Entre 2013 et 2016, il n’y ratera pas un seul match, avant de faire quatre saisons complètes sur sept du côté du Racing. Ce boulimique a remporté deux Coupes avec le Racing et le championnat sur sa seule saison avec Differdange.