Peut-on transmettre son patrimoine numérique à ses héritiers? Longtemps ignorés par la loi, les comptes sur les réseaux sociaux, e-mails et photos en ligne devraient bientôt pouvoir être intégrés à sa succession. Ou être effacés.
Il existe déjà des sociétés qui, moyennant finance, se proposent d’empêcher l’extinction de votre vie numérique, comme d’autres vendent des monuments aux morts virtuels. Mais pour l’instant, la Loi informatique et libertés est formelle: un profil sur un réseau social est strictement personnel, et les droits d’accès, de modification et de suppression des comptes s’éteignent à la mort de leur titulaire.
«Les données sont personnelles, si bien que vous avez un droit sur vos données, mais pas sur celles des autres», rappelle le secrétaire général de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), Edouard Geffray. Sauf à avoir récupéré les mots de passe, un héritier ne peut donc pas avoir accès aux données du défunt.
La loi l’autorise toutefois à contacter le serveur pour l’informer du décès. Il pourra donc, avec un peu de chance, obtenir la clôture du ou des compte(s), mais pas en supprimer le contenu. Si personne ne se manifeste, le profil de la personne décédée continuera d’exister. Ce sont aux réseaux sociaux de faire avec leurs morts, comme ils peuvent ou veulent.
Pour résumer, on peut donc hériter d’un album photo traditionnel, mais pas de photos postées en ligne. Edouard Geffray fait volontiers la comparaison avec une boîte à chaussures dans laquelle on retrouverait des lettres d’un parent décédé.
«Est-ce que le jour où la boîte à chaussures devient numérique, ça change la donne?», interroge-t-il. Les choses vont évoluer avec la future Loi pour une République numérique, qui devrait passer avant la fin de l’année devant le conseil des ministres, puis être examinée par le Parlement en 2016.
Une case pour disparaître
«On introduit la mort numérique dans le droit français avec ce texte», souligne-t-on au cabinet de la secrétaire d’Etat au numérique Axelle Lemaire, qui porte le projet de loi.
Concrètement, tout le monde pourra, de son vivant, organiser les conditions de conservation et de communication de ses données après son décès, ou demander à ce qu’elles soient effacées. On pourra le cas échéant désigner une personne chargée de l’exécution de ses volontés.
Par ailleurs, les fournisseurs de services sur internet auront l’obligation d’informer l’utilisateur du sort de ces données à son décès et lui permettre de choisir de les transmettre, ou non, à un tiers qu’il devra désigner. Certains sites le font déjà plus ou moins discrètement.
Facebook, par exemple, permet désormais de choisir un légataire et cocher une case pour demander la suppression de son compte après sa mort – si le groupe américain apprend votre mort, ce qui est une autre histoire, car vous pourriez aussi bien décider d’être inactif sans pour autant être décédé…
On peut en effet vouloir éviter que son compte Facebook reste éternellement ouvert après sa mort ou soit transformé en cybermémorial, ou encore empêcher ses amis d’envoyer des messages dans l’au-delà. Reste que le gouvernement aura sans doute du mal à obliger des sites étrangers à appliquer son texte.
«La loi française s’applique en fonction du pays du consommateur, c’est la position du gouvernement français», explique-t-on au cabinet d’Axelle Lemaire. «L’idée est qu’elle soit généralisée au niveau européen.»
Au cas où le défunt n’aurait pas désigné d’ayants-droit, les héritiers seront chargés de faire appliquer ses volontés. Mais le droit à l’effacement des données pourra être contesté par l’un d’entre eux, s’il a un motif légitime. Cette clause, contestée, est cependant susceptible d’être modifiée d’ici à l’adoption de la loi, remarque-t-on dans l’entourage de Mme Lemaire.
En tout état de cause, les héritiers ne récupèreront pas automatiquement le patrimoine numérique du défunt si celui-ci n’a pas clairement exprimé ses volontés.
AFP/M.R.