Avec Terrasses, l’auteur français Laurent Gaudé et le metteur en scène québecois Denis Marleau transposent sur scène, à Paris, les attentats du 13 novembre 2015, en invitant à une «catharsis».
Pour revenir sur les évènements tragiques du 13 novembre 2015 (130 morts et plus de 350 blessés), il y a deux objets : le récit Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé, sorti chez Actes Sud en avril, et son adaptation théâtrale, Terrasses, peu ou prou identique, qui a tenu hier sa première au Théâtre de La Colline, dans l’est parisien, où elle est jouée jusqu’au 7 juin.
Le premier est signé Laurent Gaudé, prix Goncourt 2004 (pour Le Soleil des Scorta); pour sa version scénique, l’auteur a eu envie de travailler à nouveau avec Denis Marleau, metteur en scène québécois qu’il connaît depuis une précédente collaboration en 2017.
Dans son texte, Laurent Gaudé a souhaité «être dans l’intériorité des personnages», en imaginant «tout ce qui s’est passé à l’intérieur des âmes». Le lecteur est plongé dans leurs émotions, la peur, l’amour, l’espoir, leurs pensées intimes. Il est mené d’un personnage à l’autre : deux amoureuses qui s’apprêtent à se retrouver, un médecin qui lutte contre les minutes qui passent, un passant sonné, une mère inquiète, un commissaire de police qui se remémore son passé…
Aucun d’eux n’a toutefois de prénom. Aucune des terrasses de cafés et restaurants, cibles des jihadistes, n’est nommée, ni même la salle du Bataclan. «Il y a un respect assez fidèle des faits. Je n’ai rien inventé, mais je ne voulais pas être dans du documentaire», explique l’écrivain. Ce qui lui importait? «Écrire pour le collectif un long chant» polyphonique, dans lequel il entend «faire revivre les âmes» et «faire parler les morts».
«Écriture de consolation»
Au plateau, la sobriété prime. Ni décors de terrasse, ni bruits de coups de feu. Les dix-sept comédiens, dont cinq Québecois, marchent tour à tour sur un sol qui parfois se déstructure et se dérobe, seul, en duo, en trio, en chœur. Au fond, des images en noir et blanc (gros plans de chaises, détails de feuilles, ombres, reflets, clairs-obscurs) diffusées lentement donnent une impression d’élasticité du temps.
Une simplicité voulue d’abord «par pudeur», explique Denis Marleau, figure importante du théâtre québecois. Mais aussi «parce que le langage raconte tout», se suffisant à lui-même. «L’idée était de ne pas être réaliste», tout en cherchant «une vérité qui respecte ces gens qui ont pu vivre de près ou de loin les événements», explique Stéphanie Jasmin, responsable de la scénographie et de la vidéo.
Ce n’est pas la première fois que les attentats jihadistes du 13 novembre 2015 inspirent sur les planches : en 2022, deux pièces (Vivants et 13) avaient été jouées au festival off d’Avignon, fondées sur des histoires de rescapés de l’attaque terroriste contre le Bataclan. «On peut faire théâtre de quasiment tout, et de cette « chose-là » en particulier», estime Laurent Gaudé. «Le théâtre sait raconter l’inéluctable et la pression du malheur qui arrive… C’est de la tragédie pure», ajoute-t-il.
Denis Marleau y voit, lui, «une écriture de consolation». Pour cet amoureux de Paris, présent dans la capitale lors des attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, «l’art est aussi relié à la recherche de partage d’une émotion». La pièce «apporte forcément la catharsis», commente Stéphanie Jasmin. «L’art peut nous permettre de prendre en charge la tristesse, la colère, la violence et nous faire revivre ces états-là ensemble (…) C’est venir pleurer ensemble.» Autre fonction de l’œuvre, que formule Laurent Gaudé : neuf ans après, «déplier cette histoire-là est un geste mémoriel».
Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé, de Laurent Gaudé. Actes Sud.
Terrasses, texte de Laurent Gaudé, mise en scène de Denis Marleau. Jusqu’au 7 juin. Théâtre de La Colline – Paris.