La Révolte évoque l’histoire d’une femme du XIXe siècle animée par une soif de liberté et d’affranchissement. Un texte «avant-gardiste» et «singulier» sorti de l’ombre par le metteur en scène Marc Paquien.
Écrite en 1870 par Villiers de L’Isle-Adam, un «terroriste de la scène», La Révolte trouve des résonances contemporaines. Sûrement l’une des raisons de son succès depuis sa création pour les Bouffes du Nord à Paris en avril dernier.
Marc Paquien l’affirme haut et fort : « Je milite pour un théâtre de texte! » On comprend plus facilement son désir de mettre en scène La Révolte, un « ovni littéraire » écrit par Auguste de Villiers de L’Isle-Adam en 1870 et une pièce jouée seulement à cinq reprises, car vilipendée, entre autres, pour son féminisme précurseur. Logique, également, d’apprendre qu’il est depuis hier à Luxembourg, l’une des étapes de la tournée d’une création proposée depuis avril dernier aux Bouffes du Nord à Paris, afin d’y suivre son «adaptation» pour la scène du Grand Théâtre, ou, selon ses propres termes, réfléchir à « comment un spectacle se repense » ailleurs.
Une occasion, aussi, de rester au contact d’une œuvre « incroyable et singulière », qui l’a marqué au fer rouge, tout comme la comédienne Anouk Grinberg avec qui il collabore à nouveau depuis Molly Bloom (le monologue final de l’ Ulysse de James Joyce, passé d’ailleurs par le théâtre des Capucins il y a deux ans). Un duo réuni, une fois encore, autour d’un personnage féminin, fort et courageux, même si le metteur en scène défend toute analogie avec d’autres œuvres existantes, l’originalité de l’« antihéroïne » qu’est Elizabeth faisant foi. « J’ai mis en scène beaucoup de rôles de femmes. Personne ne lui ressemble. »
Adopté par les symboliques
Ni donc Molly Bloom, « qui est pleine d’espoir », ni Emma, la célèbre Bovary de Flaubert, qui « court après une passion ». Non, cette Elizabeth veut juste rêver plus fort et plus loin. Ce qui la conduit à vouloir, une nuit, quitter son mari. Elle voudrait partir sans un mot, sans une dette, mais voilà que son conjoint, Félix (joué par Hervé Briaux), abasourdi et incrédule, lui réclame des explications. Elle se soumet donc une dernière fois et parle, n’éludant aucun des sujets qui l’ont poussée à cette décision radicale. « Elle n’appartient à personne », souligne encore Marc Paquien.
Un trait de caractère qui correspond bien à son auteur, le poète et romancier Auguste de Villiers de L’Isle-Adam qui, au XIX e siècle, balance un coup de pied dans la fourmilière, celle de la bien-pensance de l’époque, à travers un « manifeste poétique ». Mieux, « un brasier incandescent »… « Il faut imaginer cet auteur, âgé de 30 ans, qui appréhende le monde d’une autre manière et cherche à réveiller les consciences. Mais ce qu’il raconte en 1870 est difficile à faire entendre. » C’est que, avec La Révolte , il vise large. Déjà, il ouvre la porte à un théâtre nouveau, dans lequel des femmes affirment leurs exigences de liberté et d’affranchissement.
Propos contemporains
Un bienveillant élan féministe auquel s’ajoute une critique sans ambages de la bourgeoisie, sans oublier les questionnements sur « le couple » et encore la notion de « renoncement ». Avant-gardiste, ce Villiers de L’Isle-Adam? Sûrement. C’est aussi pour cela, comme l’explique le metteur en scène, que l’auteur a été repris, un peu plus tard, par les symbolistes, qui voyaient en lui « un frère, un parent, un visionnaire ». « C’est un terroriste de la scène », ose-t-il même, précisant que La Révolte dépasse le simple cadre du théâtre. Et si la langue sonne classique, les propos restent contemporains.
« La question que soulève cette pièce est : peut-on encore rêver, et reste-t-il de la place pour la poésie dans un monde où il faut toujours courir, gagner, être le premier? », poursuit Marc Paquien, convaincu de la pertinence d’une pièce face aux contraintes de la société capitaliste. « C’est même essentiel! » Car oui, faire entendre aujourd’hui la voix de Villiers de L’Isle-Adam, « c’est tendre un miroir vers notre propre captivité. C’est s’adresser à tous ceux qui cherchent à vivre leur monde intérieur, à quitter le monde des apparences pour celui de l’être. »
Échappées vers les songes
Pour ce faire, le metteur en scène, fidèle à sa philosophie qui consiste à révéler le texte, ne fait pas dans l’esbroufe, mais dans la retenue, la simplicité, l’épure. « J’avais envie que l’on voie les comédiens, leurs visages, leurs corps, leurs mains », explique-t-il, plongeant le duo dans un univers proche des contes d’Edgar Allan Poe, entre « pénombre et suspense ». Osons même le terme baroque, avec une mise en scène s’offrant quelques échappées vers les songes.
Reste le succès notable de cette pièce qui, depuis maintenant six mois, rencontre l’approbation de la critique et du public. « Les gens sont sidérés d’entendre ce texte », conclut le metteur en scène, qui épouse la réflexion de l’auteur qui disait, à propos de son art : «Je n’écris que pour les personnes atteintes d’âme.» Le public n’en manque pas. Elizabeth, assurément, non plus.
Grégory Cimatti
Grand Théâtre – Luxembourg. Mardi 27 et mercredi 28 octobre, 20h. Plus d’infos sur le site du théâtre.
La Révolte – teaser from Théâtre des Bouffes du Nord on Vimeo.