[Le portrait] Le cocktail pour un vieux joueur qui remet l’électricité chez une Vieille Dame? Le Moyen Atlas, une corde à sauter, Mike Tyson et un kebab par mois au maximum.
Que diraient-ils, les acteurs du football luxembourgeois si on leur demandait leur avis sur Tarek Nouidra? «Je ne sais pas s’ils seraient objectifs, hasarde le Thionvillois. Mais peut-être qu’ils diraient… Tarek, c’est un gars qui pète des câbles. Un excité. Pourtant, je ne suis pas quelqu’un de méchant. Mais j’apprécie des joueurs comme Roy Keane ou Rüdiger.» Souvenir(s) de ses sept cartons rouges en carrière et de cette rocambolesque fin de collaboration avec Hostert, en 2022, qui l’avait vu courser à l’entraînement un jeune coéquipier (Rasheed Eichhorn) dont il estimait qu’il lui avait manqué de respect pour l’«attraper» et le recadrer de façon musclée.
Nouidra avait refusé de s’excuser, il était parti. En proclamant que «c’était fini», qu’il allait «faire de la course» ou «de la boxe» (il a fait les deux), mais pas un «burn-out footballistique de six mois», comme à sa sortie de Mondercange, un an plus tard seulement. C’était plutôt un enterrement du ballon rond, auquel il voulait se livrer alors, qui aurait fait plaisir à son fils, qui «déteste ce sport et fait même des crises» quand il doit venir voir jouer son père.
Un peu chaotique et volubile. À l’image du joueur que l’on avait découvert à son arrivée au pays, à l’âge de 21 ans et qui courait partout, sans cesse dans le dépassement de fonction.
Il fallait marcher plusieurs kilomètres pour aller chercher de l’eau au puits
C’est donc sans doute en effet ce que la majorité silencieuse aurait dit de lui, oui, «un excité qui pète des câbles»… avant son spectaculaire come-back en BGL Ligue (qu’il avait quittée le 6 novembre 2022 et dont on le voyait mal retrouver le chemin à cet âge) grâce à l’inspiration géniale de son coach, Arnaud Bordi. Aujourd’hui, le microcosme du ballon rond est surtout ébloui. Et c’est un ancien coéquipier, mais ami très actuel, Thomas Gilgemann, le président du Progrès, qui redéfinit les contours du rapport du Grand-Duché au petit milieu de terrain, façon réhabilitation : «Son retour est un beau pied de nez et c’est bien qu’il y ait beaucoup de positif d’un coup autour de son nom. C’est un fort caractère qui a parfois franchi les limites. Disons qu’il est monté dans les tours trop vite, mais ce qu’on retient en ce moment, c’est qu’il est étonnant de le voir en capacité de faire tous ces efforts à cet âge!»
Nouidra aura 37 ans dans une semaine. Dans la veine d’un Vova (Strassen, 38 ans), héritier comme lui d’un Souto (ex-Fola, F91… qui a joué jusqu’à 41 ans) dans la lignée des «papys» placés au cœur du jeu, le milieu récupérateur de la Jeunesse accumule les kilomètres à très, très haute intensité. Face au Swift par exemple, en Coupe, son plus petit match jusqu’à alors, il a parcouru 12 kilomètres, dont 2,275 à très haute intensité pour 714 mètres de sprints. Fort de ces statistiques, il a révolutionné les Bianconeri : lors de la phase retour et avant le quart de finale de Coupe perdu contre le Swift (0-2), la Vieille Dame n’avait perdu qu’un match, celui où il était justement absent, suspendu, quand elle ne pouvait pas compter sur sa monumentale activité. Le club est passé en deux mois de candidat à la relégation à celui, éphémère, de postulant à l’Europe, et c’est en partie à lui qu’il le doit.
Comment peut-on disparaître totalement et revenir avec cette énergie de pile électrique? Il y a des pistes. L’une mène au Maroc, dans le Moyen Atlas et convoque un atavisme douteux : «Avant de venir dans les parages et que mon père bosse 40 ans chez Arcelor, mes parents étaient fermiers dans un village berbère, Aït-Ourir. Il y avait des vaches, des moutons… C’est un secteur aride, sans pâturages. Il fallait marcher plusieurs kilomètres pour trouver à manger ou même aller chercher de l’eau au puits. Quand j’y vais, je me rends bien compte que mes cousins n’ont pas du tout la même vie que nous, toujours maintenant. Peut-être que ça vient de là.» Driss et Nejma avaient-ils le même cardio que leur fils? En tout cas, ils lui ont légué la certitude que «sans travail, tu n’as pas de récompense».
Tarek, c’est un gars qui pète des câbles
Paradoxalement, l’âge a fait du bien à son physique, aussi. Se marier, avoir un fils (Imran, qui signifie «fleuri» ou «épanoui», si l’on part du principe que le site parents.fr a le droit de donner son avis), manger moins de chocolat («J’en suis amoureux, mais je culpabilise»), de viande («maintenant, c’est seulement un kebab par mois») et plus de légumes, suivre les conseils nutritionnels prodigués par Novak Djokovic et ceux pour «optimiser son temps» de feu Kobe Bryant : tout cela mis bout à bout, avec la pratique névrotique du sport, fait que Nouidra pèse aujourd’hui 66 kilos et que c’en devient vertigineux : «Je n’avais plus fait ce poids-là depuis le lycée!»
Il y a un autre sportif qui tient un rôle dans la construction mentale et physique de l’Eschois le plus impressionnant de 2024 (avec une moyenne actuelle de 6,56, il pourrait même postuler au titre de meilleur joueur de DN, mais il n’aura pas joué assez de matches pour être classé) : Mike Tyson. Le boxeur lui est apparu un jour dans une vidéo qui «a fait tilt», dans laquelle il disait, pour paraphraser, que «la discipline, c’est d’aimer quelque chose qui est détestable à la base». Et Nouidra aime ce que les autres n’aiment pas, fort de cette certitude que «la VMA, c’est le seul truc que tu puisses améliorer jusqu’à 50 ans». Ses coéquipiers de la Jeunesse ont ainsi eu la surprise de le voir débarquer aux séances avec une corde à sauter, un truc de boxeur pour travailler la tonicité, la coordination et le cardio.
Alors voilà, Nouidra, qui se plaît à affirmer que «Guardiola aime avoir des joueurs fins» et que «c’est fou ce qu’on joue mieux quand on est affûté», existe par son corps, mais dure par la tête. «C’est mon caractère qui me permet d’être encore là.» Il ne demande qu’une chose, le respect. Même si «avec les nouvelles générations, ça se perd un peu». «Mais on dit toujours que c’était mieux avant, non?» Non, pas pour Tarek Nouidra. C’est mieux maintenant.
Né le 9 mai 1987, Tarek Nouidra s’approche lentement des 300 matches en BGL Ligue (pour un palmarès composé d’une Coupe de Luxembourg en 2018), qu’il a fréquentée avec le Progrès Niederkorn dès 2008, puis Mondorf, le RFCU, Hostert et Mondercange avant de débarquer à la Jeunesse cet hiver, à la surprise générale.
Habitant Bousse, élevé au sein d’une famille de trois frères et deux sœurs «dont aucun ne fait de sport, mais qui ont tous fait des études poussées», il s’occupe de comptabilité dans l’entreprise Bétons Feidt, à Howald. Il attend son deuxième enfant pour le mois de septembre.