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Grand-Duché : à la recherche des victimes d’explosifs de guerre 


Le travail d’Yves Rasqui a permis de recenser toutes les victimes d’explosifs au Luxembourg. (Photos : archives editpress/hervé montaigu)

Après des années de travail mené par un historien amateur de Hosingen, les victimes d’engins explosifs au Luxembourg ont désormais un nom.

Qui irait imaginer que quelque cinq tonnes d’obus, mines antipersonnelles, grenades et autres engins explosifs sont trouvés sur le sol luxembourgeois chaque année? Souvenirs tenaces des deux conflits mondiaux, ces armes de guerre refont surface régulièrement dans les gros titres. Comme en 2022, quand un obus de 250 kilos datant de la Seconde Guerre mondiale avait été découvert pendant des travaux dans le quartier Gare et désamorcé sans faire de dégâts. Ou plus tragiquement en 2019, lorsque deux officiers expérimentés du Sedal (le service de déminage de l’armée luxembourgeoise) avaient péri dans l’explosion accidentelle d’un obus de la guerre 39-45 au dépôt de munitions de Waldhof.

Ces deux décès sont les derniers en date d’une liste de victimes d’engins de guerre explosifs, qui comporte plus de 215 victimes collatérales des deux guerres mondiales, dont la dernière s’est pourtant achevée il y a près de 80 ans. Cette liste a été établie par Yves Rasqui, historien amateur vivant à Parc-Hosingen, intarissable sur le sujet. Ses connaissances acquises ces 40 dernières années ont ainsi permis de mettre des noms, voire des visages sur ces morts.

Mais avant de revenir sur la façon dont cette liste a pu être créée, il est nécessaire de s’attarder sur le contexte. À Hosingen, où pendant la Bataille des Ardennes, deux compagnies de 800 hommes avaient stoppé deux régiments allemands de 6 000 soldats, cela fait quatre ans que la commune songe à créer, non pas un musée, mais un lieu de mémoire, le «Memorial Parc Hosingen». L’idée est de mettre en avant la façon dont la ville, entièrement détruite en 1945, a été reconstruite.

Un travail de toute une vie

Premier élément de ce projet : la fabrication d’un monument national dédié aux victimes d’explosifs, inauguré le 4 avril dernier (lire encadré). Et non loin, sur un panneau explicatif, un QR code qui renvoie à une page internet sur laquelle figure la liste établie pour l’occasion par Yves Rasqui. «On a décidé en janvier de créer ce monument, pour amorcer le Memorial Parc», sourit John Lamberty, secrétaire communal qui parle avec un enthousiasme contagieux du projet.

Yves Rasqui a donc dû compléter rapidement la liste qu’il avait commencé à établir depuis 2018. «Parfois, je rencontrais une personne qui me disait : « Quand j’étais petit, je jouais là-bas, un de mes copains a été tué par une grenade« , explique l’historien local, mais je ne connaissais pas les noms ni même la date.» Il compulse des articles de presse, des brochures éditées par les communes, des livres… il s’appuie sur les archives du Sedal et un solide réseau de connaissances. Il se rend aussi sur les lieux, recherche des tombes dans les cimetières… L’une des difficultés à laquelle il se heurte est la loi interdisant de rendre publics les actes d’état civil avant 100 ans. Toutefois, il ne manque que 24 noms à sa liste.

Pour chaque victime, en plus de son identité, il tente d’établir les circonstances dans lesquelles elle a trouvé la mort. Il existe principalement deux catégories de personnes qui sont tuées par des engins explosifs jusque dans les années cinquante. D’abord les enfants qui, inconscients du danger, jouent avec. À Clausen, par exemple, cinq jeunes garçons, Michi, Yuko, Josy, Vicki et Jean Pierre, âgés de 10 à 16 ans, sont morts le 10 janvier 1946 lorsque la grenade avec laquelle ils jouaient a explosé, peut-on lire sur le site. «Dans les journaux de l’époque, on retrouve souvent des mises en garde sur le fait de ne pas toucher de tels engins», ajoute John Lamberty.

L’autre catégorie de victimes, ce sont les démineurs, bien souvent des civils recrutés dans le Pfaffenthal juste après la guerre par l’État et chargés de trouver les mines abandonnées. À l’aide d’une baïonnette qu’ils frappaient sur le sol, ils devaient repérer les engins abandonnés enfouis sous la végétation, puis les désamorcer…

Quant aux accidents survenus des années après 1947, Yves Rasqui a en recensé quinze, dont celui d’un fermier qui a trouvé la mort dans son champ à Trintange en 1952 après l’explosion d’une mine. Ou encore à Hosingen, en 2002, où deux amis bricolaient des munitions de guerre dans un sous-sol quand l’une d’elles a explosé, tuant l’un des deux hommes sur le coup et blessant grièvement le second.

Est-il possible que des victimes n’aient pas encore été répertoriées? «Pas plus de cinq», assure Yves Rasqui, qui désormais consacre toutes ses recherches à dresser le portrait des victimes. Depuis que le site est en ligne, deux personnes l’ont contacté pour apporter des précisions.

memorialparchousen.lu

Le premier monument national dédié aux victimes d’explosifs

«On s’est dit : on érige un monument, pas seulement pour les sept personnes qui sont mortes à Hosingen à cause des engins explosifs, mais pour toutes les victimes du pays», se rappelle John Lamberty. Le projet, conçu par Pol Asselborn et Remy Eiffes avec le Sedal, et bien sûr Yves Rasqui, a coûté 7 000 euros et son objectif se veut à la fois pédagogique et mémoriel.

Au centre d’une sculpture en acier Corten représentant le pictogramme de l’explosif, trône une carte du Grand-Duché en acier gris métal où chaque accident mortel lié aux munitions de guerre est représenté à nouveau par le symbole de l’explosif. À ses pieds, un amoncellement de diverses munitions, là aussi de couleur rouille. «Toutes les victimes n’ont pas pu être représentées sur la carte, précise encore John Lamberty, il y aurait eu des chevauchements.» Par contre, dans le canton de Mersch, aucun pictogramme n’apparait, souligne Yves Rasqui qui n’a pas trouvé de décès liés aux explosifs dans cette partie du pays.

Le monument a été inauguré en présence des ministres de la Culture Eric Thill et de l’Agriculture Martine Hansen, le 4 avril, à l’occasion de la Journée de lutte internationale contre les mines.