Les Vingt-Sept, réunis en sommet à Bruxelles, ont relancé jeudi un chantier difficile pour unifier enfin leurs marchés financiers, une nécessité pour rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis dans la course aux technologies vertes et numériques. Mais certains Etats, dont le Luxembourg, expriment des réticences
Le marché unique a plus de trente ans et a aidé à faire naître des géants européens dans la chimie, l’aéronautique ou l’automobile. Mais il souffre d’angles morts : la finance, mais aussi les télécoms, l’énergie ou la défense restent des secteurs morcelés par des réglementations nationales différentes qui pénalisent la compétitivité.
« Il y a eu un très long débat parce que les positions de départ sont divergentes », a reconnu le président français Emmanuel Macron en évoquant l’intégration des marchés de capitaux, à l’issue d’une journée de discussions. « Cette cathédrale nouvelle, l’Union de l’épargne et de l’investissement est la clé pour pouvoir mobiliser les financements privés sur nos priorités. Nous avons acté aujourd’hui, une méthode, des principes, un calendrier, dès juin nous reviendrons sur le sujet », a-t-il dit.
L’Europe dispose d’une monnaie unique mais ses start-up sont incapables d’effectuer les levées de fonds géantes de leurs concurrentes aux Etats-Unis. Les places financières américaines, plus rentables, aimantent par ailleurs l’épargne des Européens. « Plus de 300 milliards d’euros quittent l’Europe chaque année pour s’investir aux Etats-Unis parce que le marché européen est fragmenté et pas assez attractif », s’est alarmé l’ancien chef de gouvernement italien, Enrico Letta, qui a remis un rapport aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
«Profiter des économies d’échelle»
Rien que pour effectuer sa mue écologique et numérique, l’Europe devra investir ces prochaines années plus de 620 milliards d’euros supplémentaires par an, selon la Commission européenne. A cela s’ajoutent la hausse des dépenses militaires pour soutenir l’Ukraine face à la Russie, un effort supplémentaire évalué par la BCE à 75 milliards d’euros par an.
« Les entreprises européennes doivent pouvoir profiter des économies d’échelle qu’offre un marché intérieur européen aussi vaste si nous voulons progresser en matière de croissance, de compétitivité et mener à bien les grands projets de la transformation verte et numérique », a dit le chancelier allemand Olaf Scholz.
L’Europe est face à un mur d’investissements et l’Union des marchés de capitaux doit aider à le franchir en mobilisant l’épargne privée en faveur de l’économie réelle. Près d’un tiers des 35 000 milliards d’euros d’épargne des Européens « dort » sur des comptes bancaires, contre moins de 15% aux Etats-Unis.
Le sommet de jeudi entendait donner une nouvelle impulsion politique à ce projet enlisé depuis 10 ans dans des débats techniques, sur fond d’intérêts nationaux divergents.
Luc Frieden veut éviter la «surbureaucratisation»
Une quinzaine d’Etats exprime toujours des réticences. Les petits pays refusent de se voir imposer une supervision financière européenne poussée notamment par la France qui abrite à Paris l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). L’harmonisation de la fiscalité ou du droit des faillites constituent aussi des casse-tête jusqu’ici insurmontables.
« Nous devons éviter de surbureaucratiser, surréglementer et aussi surcentraliser, comme certains Etats le préconisent », a affirmé le Premier ministre du Luxembourg Luc Frieden.
« Un changement radical, c’est ce dont nous avons besoin », avait lancé mardi l’ex-président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, régulièrement cité comme successeur potentiel à Ursula von der Leyen pour diriger la Commission européenne et qui doit remettre à l’été un rapport sur la compétitivité.
Les Vingt-Sept cherchent à définir les orientations stratégiques du prochain mandat de cinq ans qui s’ouvrira après les élections européennes de juin. « Il n’y a pas de temps à perdre car le fossé entre l’UE et les Etats-Unis est de plus en plus grand », a averti Enrico Letta. Car le Vieux continent, en déclin démographique, perd pied dans la course mondiale à l’innovation, qu’il s’agisse de batteries ou d’intelligence artificielle.
Son industrie est frappée par la hausse des prix de l’énergie depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Elle ploie sous une concurrence étrangère bénéficiant de subventions massives et de réglementations allégées. L’UE est engluée dans la stagnation. Sa croissance a plafonné en 2023 à 0,4%, contre 2,5% aux Etats-Unis et 5,2% en Chine.