Créée en janvier dernier, l’association «White Tigers» accompagne et aide les enfants victimes de harcèlement à l’école, un fléau qui prend de plus en plus d’ampleur au Luxembourg.
Avec leurs t-shirts noirs floqués au nom de leur association et leurs motos, les «White Tigers» en imposent. Mais c’est pour une bonne cause : le harcèlement scolaire. En janvier dernier, treize bikers et passionnés de cet univers ont décidé de créer leur propre ASBL. Le fléau du harcèlement, ils le connaissent bien, car près de la moitié des membres l’ont vécu, eux aussi, à l’école. Alors face à ce phénomène qui prend, selon eux, «de plus en plus d’ampleur au Luxembourg», ils ont décidé d’agir. Comment ? En aidant et en accompagnant les enfants qui en sont victimes.
Dans la majorité des cas, ce sont les parents qui prennent directement contact avec eux. «S’il est en âge de parler, c’est l’enfant lui-même qui nous raconte ce qu’il se passe. On demande ensuite des précisions aux parents. Par exemple, s’ils ont pris des initiatives au niveau de la direction de l’établissement. Mais dans la majorité des cas, ils l’ont déjà fait et il n’y a eu aucun aboutissement», regrette Anna Maria Casalegno, membre de l’association.
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C’est à ce moment-là que l’ASBL intervient en proposant aux parents d’accompagner leur enfant à l’école, dans le bus, ou même de le raccompagner directement chez lui. «On demande toujours à l’enfant de nous décrire comment est le harceleur, mais jamais de nous le montrer. À aucun moment, on ne s’adresse à lui. Nous sommes là uniquement pour protéger l’enfant», détaille Anna Maria Casalegno. Avec eux, l’enfant harcelé se sent rassuré et moins seul. «Des enfants nous ont déjà dit que nous étions un peu comme leurs anges gardiens», sourit la membre de l’association. «Pour d’autres, nous sommes leurs bodyguards ou même leurs amis. Ils se confient parfois à nous en premier, avant leurs parents», ajoute Loïc Hasselwander, le président de l’ASBL.
Une fois que les enfants sont pris en charge par l’association, l’accompagnement dure jusqu’à leurs 18 ans. «Ce n’est pas parce que le harcèlement s’arrête qu’on laisse l’enfant de côté. On va prendre régulièrement de ses nouvelles», précise Anna Maria Casalegno.
Nous avons déjà été confrontés à des enfants qui avaient des idées suicidaires
Mais l’objectif de cet accompagnement est surtout de provoquer un déclic auprès des harceleurs, mais aussi au niveau de l’encadrement scolaire. «On veut que la situation soit connue et qu’elle avance. Car très souvent, les écoles souhaitent surtout ne pas « faire de vagues »», explique Philippe Legrand, un autre membre des «White Tigers». Tous le confirment, ils se heurtent très régulièrement à une inaction de la part des établissements scolaires luxembourgeois. «Souvent, il faut que la situation soit très grave pour que des décisions soient prises ou alors elles mettent beaucoup de temps à se mettre en place», regrette Loïc Hasselwander.
Mais face à certaines situations d’urgence, le temps peut parfois être crucial. Alors, les «White Tigers» ont décidé d’agir du jour au lendemain. «Nous avons déjà été confrontés à des enfants qui avaient des idées suicidaires. Dans ce cas, nous avons tout de suite prévenu les parents et l’enfant a été hospitalisé», confie Anna Maria Casalegno. En revanche, une fois que le problème est connu, les sanctions sont présentes. «Contrairement à d’autres pays, c’est le harceleur qui va changer d’établissement et non le harcelé», précise Philippe Legrand.
Un harcèlement dès l’école primaire
Depuis le lancement de l’association il y a à peine trois mois, les demandes d’accompagnement sont déjà très nombreuses. «Cela prouve que le phénomène est important dans le pays», note Anna Maria Caselegno. Pourtant, le harcèlement scolaire semble être un sujet tabou au Grand-Duché. Presque aucune affaire n’a été médiatisée et seule une campagne de sensibilisation a été réalisée en mars 2023 par le ministère de l’Éducation nationale. «Ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que ça n’existe pas, même pour les cas les plus graves», appuie le président de l’ASBL.
En effet, le phénomène est bien présent. En 2023, ce même ministère a dévoilé quelques chiffres sur l’ampleur du harcèlement scolaire au Luxembourg. Il révèle qu’en moyenne six élèves par jour et par lycée consultent le SePAS, le Service psychosocial et d’accompagnement scolaires pour «des raisons diverses». Mais selon une enquête réalisée auprès de 39 lycées, le harcèlement arrive en quatrième position des thématiques abordées dans ces établissements spécifiques, après le stress scolaire et les troubles dépressifs notamment.
Si aujourd’hui le phénomène est généralisé dans tout le pays, il est encore plus présent à l’école primaire. «Cela commence de plus en plus tôt. Nous accompagnons des enfants entre 7 et 14 ans, mais la majorité sont dans les classes primaires», précise Anna Maria Casalegno. Garçons ou filles, milieu social aisé ou non, tout le monde peut être touché. «La moindre différence ou faiblesse peut être source de harcèlement. Il n’y a aucun profil. Même du côté des harceleurs qui peuvent eux-mêmes être harcelés ou l’avoir été», se désole-t-elle.
Ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas que ça n’existe pas
Alors face à cette situation, le seul mot d’ordre pour l’association est la prévention. Et en premier lieu dans les écoles. «Il faut que les professeurs reconnaissent quand un enfant est harcelé. Ils ont des formations, mais je n’ai pas l’impression que cela soit bien mis en œuvre», regrette Anna Maria Casalegno. Une prévention que les «White Tigers» estiment aussi nécessaire auprès des parents pour qu’ils détectent le moindre signe, car si certains enfants se confient, d’autres refusent d’en parler. «L’agressivité, un enfant qui ne veut pas aller à l’école ou qui devient introverti, les problèmes de sommeil ou des marques physiques comme des bleus ou des griffures doivent absolument alerter les parents», liste la membre de l’association.
Cette sensibilisation au harcèlement, l’association souhaiterait également en être l’actrice, et ce, directement dans les établissements scolaires. «Aujourd’hui, les associations ne peuvent pas intervenir dans les écoles. C’est quelque chose que l’on aimerait changer. On travaille actuellement dessus avec une autre ASBL», indique Loïc Hasselwander.
Comment reconnaître le harcèlement scolaire ?
Chaque membre des «White Tigers» est formé dans le domaine de la santé mentale. Cela lui permet de reconnaître les premiers signes du harcèlement scolaire (voir plus haut). Celui-ci se caractérise, en premier lieu, par son aspect répétitif. «Cela peut être un harcèlement physique ou psychologique. Celui-ci se passe tous les jours ou très régulièrement. Il faut le différencier des conflits qui arrivent souvent à l’adolescence», explique Anna Maria Casalegno.
Une fois le harcèlement détecté, cette membre de l’association, qui s’occupe principalement des premiers contacts avec les enfants, oriente les parents vers des spécialistes, comme des psychologues ou des psychiatres. «La prise en charge est importante car les conséquences et les effets sur le court terme, mais également à long terme peuvent être nombreux. On a rencontré quelqu’un de 28 ans qui raconte encore avec beaucoup d’émotion le harcèlement scolaire qu’il a subi et qui commence seulement maintenant à en parler», raconte Philippe Legrand, un autre membre.
Ces dernières années, les membres des «White Tigers» ont également observé une aggravation de ce phénomène avec les réseaux sociaux. «Le cyberharcèlement est quelque chose de très difficile à gérer. Par ailleurs, il est souvent mêlé au physique ou psychologique», indique Anna Maria Casalegno. Et plus récemment, les épisodes de confinement ont également eu des répercussions négatives. «Cela a fait des dégâts dévastateurs auprès des adolescents», reconnaît Philippe Legrand.
Alors, en cas de suspicion de harcèlement scolaire, les «White Tigers» peuvent être contactés par téléphone, mail ou directement sur leurs pages Facebook ou Instagram.