«Il Cannone», violon mythique utilisé quatre décennies durant par le virtuose italien Niccolò Paganini, a quitté le musée de Gênes pour passer un scanner à Grenoble, révélant à cette occasion tous ses secrets.
C’est l’un des violons les plus célèbres au monde : «Il Cannone», instrument favori du grand compositeur italien Niccolò Paganini (1782-1840), a passé au cours du mois de mars une visite médicale high-tech au Synchrotron de Grenoble, où il a été scanné sous toutes les coutures.
«Rêve» ou «expérience fantastique», selon ses protagonistes, les tests visaient à évaluer son état de conservation, mais aussi à mieux comprendre ce qui en fait un «instrument exceptionnel», en analysant en particulier la structure de son bois.
Propriété pendant près de quarante ans du maestro qui le légua à sa mort à sa ville natale de Gênes, le «canon», ainsi surnommé pour la puissance de sa «voix», a été fabriqué en 1743 à Crémone par le célèbre luthier Giuseppe Bartolomeo Guarneri del Gesù, rival d’Antonio Stradivari.
Considéré comme inestimable, il est aujourd’hui la pièce maîtresse du musée de Gênes, d’où il ne sort que rarement et sous très haute sécurité. Parmi les rares personnes autorisées à en jouer figurent les lauréats du concours international de violon Paganini, qui a lieu tous les deux ans à Gênes.
Il est pourtant venu jusqu’à Grenoble pour y bénéficier d’une «analyse non destructive» au Synchrotron européen (ESRF), un accélérateur de particules de quatrième génération. Cette technique, appelée «microtomographie à rayons X», a été testée à l’avance sur deux autres violons par sécurité.
Elle offre la possibilité de reconstruire une image 3D du violon jusqu’au niveau de la structure cellulaire du bois, avec la possibilité de zoomer localement n’importe où jusqu’à l’échelle micrométrique, ont expliqué les spécialistes chargés du projet.
Pour l’étude, effectuée à la demande de la direction du concours Paganini, l’instrument était enfermé dans un tube de verre posé sur une machine, elle-même confinée dans une plus grande cage de verre afin que les conditions de température et d’humidité demeurent adéquates – «notre plus grosse crainte», ont confié les membres de l’équipe scientifique.
L’analyse a consisté en «un scan complet à 30 microns pour faire une carte des défauts éventuels», puis de zooms encore plus rapprochés sur les zones importantes, a indiqué le scientifique Paul Tafforeau, responsable de la «ligne de lumière BM18», nom de la vaste salle des machines où s’est déroulée l’expérience. Des défauts, «on en a trouvé très peu, finalement», précise-t-il encore.
Recourant à une dose très faible de rayons X, l’équipe avait à cœur de ne faire courir «aucun risque» au violon, assure l’ancien paléontologue, entre les mains duquel sont passés ces dernières années d’autres artefacts précieux, comme le crâne de Toumaï, plus ancien représentant connu de l’humanité, ou de rarissimes fossiles du dinosaure à plumes Archéoptéryx.
«Le premier objectif, c’est la conservation. Si jamais certains défauts nécessitent une réparation, on aura tous les détails» pour les corriger, explique Paul Tafforeau. Pour ce violoniste amateur, «travailler sur ce violon était une sorte de rêve». «Le deuxième aspect, c’est que ça reste un instrument exceptionnel pour ses qualités sonores et, avec ces données, on espère mieux comprendre pourquoi il a une telle qualité sonore», a-t-il ajouté.
«C’est émouvant, il s’agit d’une expérience exceptionnelle», s’est réjouie la consule générale d’Italie à Lyon, Chiara Petracca, conviée pour l’occasion. «Cette expérience fantastique, à la croisée de la science, de la musique, et de l’histoire (…) ouvre de nouvelles possibilités pour étudier la conservation d’instruments de musique anciens», a noté de son côté Luigi Paolasini, qui a dirigé le projet à l’ESRF.
«La logistique a été très compliquée parce qu’on n’est pas un musée : les musées ont l’habitude de transférer des objets d’art», a-t-il souligné, notant que l’instrument est «assuré à hauteur de 30 millions d’euros».
Les résultats du scanner du violon mettront des mois à être analysés en détail. Quels qu’ils soient, Alberto Giordano, conservateur à Gênes du précieux instrument, rappelle qu’il est crucial de faire preuve «d’extrême prudence, voire d’abstinence» avec le violon afin de garantir qu’il soit transmis «sans altération aux générations futures». «Moi je vieillis mais lui reste pareil, c’est très bien ainsi», plaisante-t-il. «C’est comme le portrait de Dorian Gray, il reste frais comme une rose.»