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[Cinéma] «C’è ancora domani», chronique d’une «femme ordinaire»


Face à Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea dans le rôle du mari violent. «Pas un monstre, mais un homme qui pourrait être n’importe qui», dit l’actrice et réalisatrice.

Plus qu’un film, un phénomène de société. En salles aujourd’hui, C’è ancora domani a connu un succès immense en Italie, où il a relancé le débat sur les violences conjugales.

Montré dans de nombreuses écoles, qui ont organisé des débats, le film C’è ancora domani a eu les honneurs d’une projection début mars à la Chambre des députés italienne, en amont de la Journée internationale des droits des femmes. Le film a rencontré un écho tout particulier dans ce pays en grande majorité catholique, où les stéréotypes de genre sont très ancrés et la violence contre les femmes très présente. Selon un rapport gouvernemental de juillet 2021, «dans certaines régions, jusqu’à 50 % des hommes estiment que la violence est acceptable dans le cadre de relations».

Tourné en noir et blanc, ce drame historique, qui raconte, selon sa réalisatrice, Paola Cortellesi, «l’histoire d’une femme ordinaire» dans l’Italie de l’après-guerre, a démenti toutes les prédictions en réunissant près de 4,4 millions de spectateurs en Italie en 2023, devenant le film le plus vu de l’année. Il tient aujourd’hui la neuvième place des films ayant fait le plus d’entrées dans la péninsule, devant Barbie (Greta Gerwig, 2023) et La vita è bella (Roberto Benigni, 1997).

Dans son premier film de réalisatrice et scénariste, Paola Cortellesi, un visage familier de la télévision et du cinéma, tient le rôle principal, celui de Delia, une femme au foyer romaine soumise à un mari brutal et autoritaire, Ivano (Valerio Mastandrea), qui n’hésite pas à la battre. La famille peine à joindre les deux bouts, dans l’Italie de l’immédiat après-guerre, alors que le pays fait partie du camp des vaincus et tente de tourner les pages sombres du fascisme qui l’a laissé en ruines.

Culture de la violence

Tandis que les femmes italiennes rêvent d’obtenir enfin le droit de vote, Delia reste recluse entre les quatre murs de son foyer, où elle jongle entre les exigences de son beau-père, qui ne quitte plus son lit mais tyrannise la maisonnée, et ses trois enfants, deux petits garçons qui jouent déjà les forts-à-bras et sa fille Marcella. Quand le fils d’un bourgeois du quartier demande la main de Marcella, Delia devrait être comblée : elle a consacré sa vie à l’espoir que sa fille fasse un «bon mariage». Osera-t-elle briser le sort qui, de génération en génération, asservit les femmes à leur mari violent ?

Chez les hommes, la violence est «un type d’éducation qui se transmet de génération en génération. On peut se dire que chaque sujet a son libre arbitre mais, à l’époque, l’éducation était très prégnante», souligne Paola Cortellesi. «Et ça se transmettait aussi du côté des femmes, qui étaient éduquées avec l’idée qu’elles ne valaient rien», déplore-t-elle. «C’est une culture qui est encore transmise, qui reste vivante, malheureusement», «il y a encore des féminicides, des violences, y compris chez des jeunes».

Sa prise de conscience, ce n’est pas un voyage politique, mais quelque chose d’instinctif

Sorti fin octobre 2023 en Italie, le film avait été projeté dans la foulée au Sénat, avec une très maigre participation des élus et, surtout, l’absence notable de la Première ministre, Giorgia Meloni. Deux semaines après sa sortie, alors que le film relançait les débats sur les violences conjugales et de genre en faisant un carton dans ce pays «qui n’a pas encore eu son #MeToo», une étudiante de la région de Venise, Giulia Cecchettin, 22 ans, a été assassinée par son ex-compagnon. La nouvelle a déclenché une colère dans toute la botte, où les manifestants ont écrit des dialogues entiers du film sur leurs pancartes. Dans une lettre ouverte publiée dans toute la presse, Elena Cecchettin, sœur de la victime, écrit des mots qui renvoient au propos du film de Paola Cortellesi : «Le féminicide n’est pas un crime passionnel, mais un crime de pouvoir». Et commence son texte ainsi : «Turetta (NDLR : le meurtrier de Giulia) est souvent défini comme un monstre, bien qu’il n’en soit pas un (…). Les « monstres » ne sont pas des êtres malades, ce sont les enfants sains du patriarcat et de la culture du viol.»

Une histoire d’amour, «mais pas classique»

Des mots qui font aussi écho au traitement du personnage d’Ivano par Paola Cortellesi, qui avait d’abord imaginé «un homme qui portait cette dureté très évidente dans son physique, ses traits», avant de «trouver naturel de (le) développer comme un homme ordinaire, violent et parfois terrifiant, mais aussi ignorant, maladroit, ridicule. Pas un monstre, donc, mais un homme qui pourrait être n’importe qui, et dont la « normalité » prévoit cette violence indicible et habituelle», explique-t-elle.

Entre néoréalisme et comédie à l’italienne, l’ode à l’émancipation signée Paola Cortellesi entretient le suspense jusqu’à un dénouement surprenant, tout en évitant l’écueil de la leçon de morale. «Je voulais raconter l’histoire d’une femme qui n’est pas mue par des désirs» d’émancipation, rembobine la réalisatrice. «Sa prise de conscience, ce n’est pas un voyage politique, mais quelque chose d’instinctif. Elle se rend compte que le schéma patriarcal va se répéter, que sa fille va tomber dans le même piège qu’elle.»

Pourquoi un tel succès ? «C’est inattendu», raconte Paola Cortellesi. «Je voulais faire un film populaire, donc je suis contente, mais je crois qu’il n’y a pas vraiment de règle pour le succès.» Au fond, C’è ancora domani est une histoire d’amour, «mais pas classique : l’histoire de l’amour d’une mère pour sa fille», analyse la réalisatrice.

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