Défiant les genres, les formes et les formats, les courts métrages «made in Luxembourg» redoublent de promesses quant aux auteur(e)s du cinéma de demain.
Les courts métrages sont un peu, pour reprendre le film de David Cronenberg, des «promesses de l’ombre». Des films à moitié? Il faut se souvenir que le «demi» du titre 8 1/2 de Federico Fellini fait référence à deux courts métrages (dans les films à sketches L’amore in città et Boccacio 70) qu’il avait réalisés avant son chef-d’œuvre. Reste que les courts, d’Un chien andalou (Luis Buñuel, 1929) à Star Suburb (Stéphane Drouot, 1983), en passant par les films de Kenneth Anger, le sont aussi, des chefs-d’œuvre. Des ébauches? Des bancs de touche?
Parfois des films débouchent sur d’autres; ils sont autant des points de départ que des points de suspension. Le long métrage Seul contre tous (Gaspar Noé, 1998), présenté lundi au LuxFilmFest, est aussi bien la suite que la version allongée de Carne (1991), certes un «court long» ou un «long court» (40 minutes), appelé aussi «moyen métrage». Ce n’est alors pas parce que les films projetés lors du «short films showcase» du LuxFilmFest durent en moyenne un quart d’heure que ce sont… des quart-de-films. Mais qu’ont-ils en commun sinon leur durée? Ils sont luxembourgeois et ils déploient, chacun à leur façon, un désir de cinéma qui renvoie à l’énergie de la première fois. Ils sont des promesses.
Selfie en mouvement
Pour se présenter vite à l’écran, un court métrage fait office d’imparable carte de visite. Et puis à l’ère des «reels», des vidéos «ultra-cut», ou des «replays» séquencés, il faut faire court. En littérature comme en cinéma, les débuts parlent de soi; c’est la matière la plus légitime. Il faut bien partir de quelque part, donc tant qu’à faire, de là d’où l’on vient. C’est le cas de Souvenirs, de Katharina Binz, un court luxembourgeois tant dans sa production que dans son sujet. Katharina Binz parle de sa famille et d’une boîte transmise de génération en génération, prétexte évident à en tirer des images – photos, collages, reconstitutions. Il s’agit, entre les plans, comme on dirait entre les lignes, d’un selfie en mouvement. À partir duquel tirer ce constat : les courts sont des morceaux.
En parlant de morceaux, parlons de musique, un art qui crée du lien ou déconnecte du monde – voilà ce que raconte le réussi Crackle, de Fränk Grotz. Paul, un disquaire solitaire, tombe amoureux d’une cliente jusqu’à l’obsession. S’il se fait des films, ce sont bien les siens que nous voyons. Dix-huit minutes suffisent : si le film est court, la chanson est longue.
Court mais intense
Oizys, de Rari Matei, se focalise, quant à lui, sur des fragments de vie plutôt que sur la pure linéarité. Ses flash-back, aussi tape-à-l’œil soient-ils, possèdent la force des images subliminales, qui viendraient, sans prévenir, s’incruster dans la rétine pour y rester. Rari Matei vient du clip (Maz, C’est Karma…) et cela se voit : belle notion du rythme, sens du timing et du découpage, fluidité de la synchronisation entre images et musique, direction méticuleuse des lumières (stroboscopes ou filtres de couleur) comme s’il s’agissait d’acteurs. Les «images en mouvement» riment aussi bien avec les BPM de la techno minimale qu’avec l’agitation intérieure du héros qui a le corps à la fête, mais pas le cœur. Guillaume Dustan dans Nicolas Page (1999) : «Les gens qui souffrent viennent en boîte de nuit pour vivre leur ressourcement sur l’énergie.» C’est bien cette idée que capture Oizys, un court, oui, mais intense.
Plus court encore, It Will Not End You, de Lucie Wahl, plonge sa caméra dans un esprit traumatisé. Son langage se situe entre le cri étouffé et la litanie optimiste, à l’image du texte de la poétesse Rupi Kaur, Le viol te déchirera en deux mais ne t’achèvera pas. Ici se succèdent des vagues sombres, des clignements de lumière pâle, des dérives rouges, des sons métalliques, un mélange d’images «found footage» et de plans de catastrophes naturelles, jusqu’à un écran noir pour n’y voir que ce que nous, spectateurs, y imaginons. It Will Not End You n’est pas une fin, mais un début, celui de notre propre film mental. C’est en effet ce que l’on peut attendre, aussi, d’un court : qu’il ne soit que la projection d’un long.