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Dallas, son univers impitoyable


Promotion d’Honneur – Dallas Sikes-Aminzadeh a débarqué à Rodange le 7 janvier en provenance directe de Washington DC. Il prie, fait du yoga, rêve de vite remanger mexicain et se voit « comme un pionnier ».

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Rodange a réalisé LE transfert exotique de l’hiver en PH, en enrôlant le défenseur central américain Dallas Sikes. (Photo : archives)

A regarder Dallas Sikes se pencher au-dessus du comptoir du bar où nous l’avons retrouvé, tendre un index mal assuré vers la serveuse, froncer les sourcils, suspendre le temps durant deux bonnes secondes pour fouiller sa mémoire et demander « les toilettes ? » avec cet accent charmant des Américains qui se sentent chez eux partout, on comprend mieux pourquoi son nouveau coach, David Zenner, lui a confié un dico français-anglais avec cet ordre impérieux : « Tu as le droit de diriger ta défense en anglais jusqu’à la reprise, mais dès que le championnat recommence (NDLR : le 22 février, contre Mondercange), tu dois être capable de le faire en français ! » Parce que satisfaire une envie de pisser en prenant deux grosses secondes pour savoir quelle direction prendre, c’est bien beau, mais sur un terrain, face à Stumpf (Hamm), Ruppert (Strassen) ou Smigalovic (Pétange), tout Dallas Sikes qu’il est, ce sera deux secondes de trop et Rodange, encore vaguement postulant à la montée en DN, ne peut pas se le permettre…

Mais ce Yankee ne cherche pas que les petits coins. Il se cherche aussi, lui, et aux quatre coins de la planète s’il vous plaît.

S’il jure qu’il a su dès l’âge de 5 ans qu’il voulait devenir professionnel du ballon rond (après avoir goûté au football américain, au hockey sur glace, au basket… Bref, tous les sports US qui enfoncent le soccer au 4e voire 5e rang des disciplines les plus populaires du pays) parce que c’était « là-dedans qu'(il) était le meilleur », il a pris des chemins détournés pour arriver jusqu’en Europe et donc au Luxembourg, qu’il semble considérer comme La Mecque. Parce que « tous les footballeurs américains veulent jouer en Europe ». D’accord mais… Au Luxembourg aussi ?

> « Il peut devenir célèbre ou plein d’argent »

Sikes a ainsi abandonné l’université assez tôt, malgré le fait que « les athlètes ont toutes les filles qu’ils veulent : elles spéculent sur le fait qu’il « peut devenir célèbre ou plein d’argent » ». Destination Rio de Janeiro, où l’un de ses coaches (brésilien) à DC United lui a dégoté, fin 2012, une place chez les espoirs de Fluminense. Il y côtoie notamment Fred, le buteur de la sélection auriverde et un football lunaire : « Les Américains jouent de façon très directe et physique. Les Brésiliens, eux, sont tout en liberté et en technique. C’est pour cela que je suis venu ici : après avoir vu ces deux aspects, je voulais devenir plus complet en apprenant le versant tactique et l’intelligence de jeu européens. » L’intelligence de jeu, c’est donc au stade Jos-Philippart qu’il va l’apprendre. Le hasard a choisi pour lui. Son agent de Washington connaissait vaguement Jamath Shoffner, ex-joueur de Beggen et Käerjeng entre 2008 et 2010, premier « Amerloc » de l’Histoire du football grand-ducal. Jamath Shoffner, lui, connaissait un peu moins vaguement David Zenner et lui a expédié Sikes, livré clef en main le 7 janvier dernier. Mais pas avant d’avoir pris Dallas en tête-à-tête. « Son premier conseil, sourit Sikes, a été « profites-en, sois humble, et ne perds pas de vue que si tu es le deuxième Américain après moi à jouer dans ce championnat, cela peut avoir un impact. Ce que tu montres peut aider d’autres Américains à venir au grand-Duché ». Mon niveau, mon attitude, doivent être irréprochables, je suis un petit peu un pionnier ! »

Ce pionnier-là, qui pense vraiment trouver de l’or au pays des trois frontières, n’a pas que l’anglais, ses certitudes et un couteau en poche. Dans ses bagages, il y a un passé, compliqué et un présent, apaisé.

Adopté à l’âge de 8 ans par un couple germano-iranien et pour des raisons qu’il garde pour lui, Dallas Sikes devient Dallas Sikes-Aminzadeh. Il vient alors passer un mois en Allemagne chaque été, y apprend les rudiments de la langue qui lui permettront de se débrouiller, bien des années plus tard, dans sa quête grand-ducale. En attendant, il voit sa mère biologique de temps en temps et surtout le jour de sa mort, où elle lui révèle les origines de son prénom, celui de son grand-père, mitrailleur dans un bombardier américain durant la Seconde Guerre mondiale. Un prénom, donc, qui le rend fier. Tout autant que son nom. Son nom au complet, mais qu’il va abandonner en promotion d’honneur pour tranquilliser son papa : « Il m’a téléphoné à mon arrivée pour m’apprendre qu’il y avait eu des attentats terroristes en France. Il m’a demandé de ne pas faire connaître mon deuxième nom, mon nom iranien. Il a peur que je sois jugé ou regardé de travers. Il veut me protéger ! »

> Bible, yoga et Chipotle

Fier de son nom donc. Et décontracté, souriant. S’il regrette la chaîne de restaurants mexicain « Chipotle » qu’il fréquentait à Washington, il jure qu’il n’aura « pas le mal du pays » : « Je suis béni de vivre ce que je vis. » Quand il se sentira moins béni d’aller traîner sa quête sur des terrains boueux et bordés de main courantes ou s’agglutinent trente personnes tout au plus, il pourra toujours allez visiter ses potes d’enfance, Joe Gyau, qui a intégré l’équipe 1 de Dortmund ou Zack Steffan, qui vient de débarquer à Fribourg. Et puis, il lui reste le yoga, qu’il pratique à raison de quarante minutes chaque matin avant de prendre son petit déjeuner, après avoir prié et lu la Bible. Après les céréales, il se plonge dans son autre grand livre du moment, celui qui lui explique le foot en français. Le premier mot qu’il y a appris ? « Montez ! »

De notre journaliste Julien Mollereau