Les années passent, et Erick Arc Elliott n’a jamais failli à son surnom de «the Architect», qu’il utilise principalement derrière ses boîtes à rythmes, ses instruments et ses logiciels de composition.
Le New-Yorkais, qui a baigné toute sa vie dans la musique, a adopté son nom de scène lorsqu’il s’est entouré de deux amis d’enfance pour former le groupe de rap qui allait être l’un des plus novateurs de son temps, Flatbush Zombies, nommé d’après le quartier de Brooklyn qui les a vus grandir.
Chantre d’un rap psychédélique, porté par des paroles introspectives et métaphysiques (souvent déclenchées par des «trips» qui, de l’aveu des principaux intéressés, ont pour objectif de les mettre face à leur inconscient), le trio a nourri son rap aux solos de guitare de Jimi Hendrix, aux improvisations délirantes de Grateful Dead ou Miles Davis, autant qu’aux piliers du rap new-yorkais, à commencer par le Wu-Tang Clan, autre sorte de groupe unique en son genre. Si leur rap porte incontestablement la patte «East Coast», il défie toute catégorisation et s’assume comme une forme hybride et monstrueuse – avec le collectif Pro Era et le duo The Underachievers, les Flatbush Zombies ont créé un supergroupe justement nommé Beast Coast.
Un album étiqueté rap mais qui change constamment de forme, de la part d’un artiste toujours imprévisible
Elliott n’est pas «architecte» pour rien : seul producteur de son groupe, c’est lui, et uniquement lui, qui a créé le son si particulier des Flatbush Zombies. Celui qui faisait déjà de la musique en solo avant de réunir ses deux copains, Meechy Darko et Zombie Juice, s’était permis deux pas de côté en publiant les mixtapes Arcstrumentals (2015 et 2018), importants témoins de la richesse de l’univers du garçon. Toujours imprévisible, son premier album solo, I’ve Never Been Here Before, est aussi à des années-lumière de la douceur rassurante de l’EP Future Proof (2021). Le titre parle de lui-même : le grand plongeon du premier album est une expérience inédite pour l’artiste de 35 ans, qui l’a enregistré à Los Angeles, loin de sa ville natale qu’il a quittée récemment, à la mort de sa mère.
De tels thèmes sont présents tout au long de ce disque étiqueté rap mais qui change constamment de forme, du «boom bap» aux accents «lounge» (Instincts) aux riffs de guitare psychédélique signés George Clinton (invité sur Ezekiel’s Wheel), jusqu’à une trap expérimentale rythmée par un son de cloche (2-3 Zone) ou une incursion reggaeton (Beef Patty). Sans compter le surprenant mélange rap-house d’Ambrosia, qu’Erick the Architect assure avec le «clubber» du ghetto Channel Tres, ou Breaking Point, première pièce maîtresse de ce disque, en forme de ritournelle pop que l’on imagine répétée autour d’un feu de camp, un soir d’été, guitare à la main. Car I’ve Never Been Here Before a aussi cela de nouveau, pour son auteur, qu’il fait montre de toutes les capacités d’instrumentiste de ce pianiste et guitariste accompli.
Pour autant, ce premier album semble un cas à part dans la discographie (au sens large) d’Erick the Architect, qui compose bel et bien, mais confie la production d’une grande partie des titres à des collègues. Dont James Blake, autre principal artisan du disque, qui partage les mêmes sensibilités; sans doute fallait-il au moins cela pour qu’Elliott se plonge dans l’écriture de ses textes les plus personnels, réfléchissant sur son identité (à travers son héritage jamaïcain, la perte de sa mère ou encore son emménagement à L. A.), son évolution artistique et humaine… En se montrant plus authentique qu’il n’a jamais voulu paraître, Erick the Architect bâtit, en 16 titres, une impressionnante et somptueuse cathédrale.
Erick the Architect – I’ve Never Been Here Before
Sorti le 23 février
Label Architect Recording
Genre rap