Il y avait lancé sa carrière en 2013, et il y revient pour signifier une nouvelle étape dans sa vie d’artiste : Sumo retrouve la BIL avec des envies numériques plein la tête. Rencontre.
Sumo est un artiste qui aime mettre en perspective les notions de temps et d’espace. C’est le principe même de son art, mais aussi celui qu’il suit depuis ses débuts il y a 30 ans, dans une carrière à la rythmique parfaite. Chez lui, tout tient en effet à des cycles d’environ dix ans.
Ainsi, après un voyage scolaire à Munich, il tombe d’amour pour le graffiti, et là, tout s’enchaîne : un premier mur en 1995, une première exposition collective en 2002, et enfin, une autre en 2013 organisée par la Banque Internationale à Luxembourg (BIL), première en solo intitulée «Bad Meaning Good» et définitivement marquée d’une croix blanche.
«C‘est là que j’ai décidé de me lancer en tant qu’artiste. Ça a été un moment charnière. Ça a boosté ma carrière!», dit-il une décennie plus tard, à nouveau invité à s’afficher au sein de la galerie Indépendance.
Pour ses retrouvailles avec Sumo, la BIL, qui par le passé lui avait déjà demandé d’illustrer ses cartes de débit pour jeunes, ne fait pas dans la retenue. Devant l’établissement l’attend en effet la Porsche qu’il avait customisée en 2021 (façon Keith Haring), sur laquelle s’arrêtent les clients du jour et les employés.
S’il y avait eu suffisamment de place sur le parvis, on aurait sûrement fait venir l’avion qu’il avait relooké pour Luxair!
Mais il faudra se contenter de la voiture et d’une quinzaine de toiles, toutes fraîchement terminées, et toutes immédiatement identifiables. Son personnage emblématique (Crazy Baldhead), ses bulles, ses nuages et ses slogans bienveillants sont bien connus au pays.
Seules nouveautés dans le décor : une paire de lunettes 3D vintage, coincée dans le catalogue, et une vidéo sur laquelle défilent et se mélangent ses peintures. Précision d’importance : «J’ai envie de m’aventurer dans le digital», lâche l’intéressé.
Une nouvelle étape version 1.0
Une «nouvelle étape» artistique qui se résumerait même en une simple formule : le «Sumoverse». Une promesse qui, aujourd’hui, est encore à l’état embryonnaire, bien que l’artiste admette son penchant de plus en plus aiguisé pour les NFT (jetons non fongibles) et l’art numérique.
Ici, donc, Sumo se lance et cherche à offrir une «expérience immersive» afin que l’on «puisse rentrer plus en profondeur» dans son monde. Avant la visite, il tient à préciser : «Ce n’est pas encore parfait. C’est la version 1.0!», rigole-t-il.
À l’écran, face à l’enchaînement des zooms, on comprend en tout cas l’idée : «C’est une installation qui connecte toutes mes œuvres récentes, détaille-t-il. C’est comme les pièces d’un seul et même puzzle qui explique mon univers, sans avoir besoin de lire un texte. Je veux que les gens le ressentent plutôt.».
Lunettes carrées en carton calées difficilement sur le nez, différentes couches apparaissent alors dans un effet trouble, sur la vidéo comme sur les toiles d’ailleurs. «Ça donne déjà l’aspect de quelque chose de digital, qui ouvre sur un autre espace, une autre dimension», lâche Sumo.
Mais dans la foulée, une nouvelle fois, il tempère : «Cette facette numérique est avant tout destinée à enrichir mon art, à me donner plus de possibilités à l’avenir. Elle complète mes peintures, mais elle ne les remplace pas!». Il poursuit : «Je ne vais jamais lâcher la toile qui reste pour moi la meilleure façon de s’exprimer. Et tout faire à la main, dans son atelier, c’est mieux que de rester derrière un ordinateur!».
Comme une chanson des années 1980
Avant que l’on ne puisse «se balader» totalement dans ses pièces, celles-ci se suffisent à elles-mêmes, pures explosions de couleurs vives qui s’inspirent de ses souvenirs d’enfance : les emballages de bonbons, les jouets, le skateboard, les pochettes d’albums et les clips sur MTV. «Moi, je veux juste que l’on se sente bien devant une de mes œuvres. Qu’elles soient comme une chanson des années 1980 : enlevée et énergique!».
Sumo (Christian Pearson de son vrai nom) est comme ça : résolument positif. Et ses tableaux lui correspondent : «Ils sont comme un journal intime sur lequel j’écris sans cesse. Au final, je garde seulement les parties les plus joyeuses, les plus drôles. Je raye les mauvais souvenirs mais ils sont toujours là, cachés dans le fond. Désormais, ils font partie du passé!».
Si ses inspirations viennent souvent de la musique qu’il écoute ou des informations qu’il entend à la radio, celles-ci mettent du temps pour être «digérées». Et si elles sont recrachées dans un premier jet sur la toile, elles sont souvent recouvertes par d’autres idées qui arrivent à leur rythme, à leur moment.
«Certaines œuvres traînent depuis des années dans mon atelier. Il faut du temps pour qu’elles mûrissent», du moins jusqu’à ce que la composition lui plaise, reconnaît-il. D’où cette façon toute personnelle de voir son travail comme une grande accumulation, où les couches et les motifs se superposent comme les strates d’une histoire en cours d’écriture. Et «on n’a jamais tout dit!» (il rit).
Du chocolat pour les fêtes de Pâques
Un procédé qui synthétise bien ce concept de temps et d’espace. D’abord, «je me laisse guider par l’instant, je documente le présent, je capture l’esprit du moment». Ensuite, après une maturation à la durée incertaine, «ma peinture évolue, certains thèmes apparaissent, d’autres disparaissent… Et plus le temps passe, plus il y a de profondeur».
De l’épaisseur, pourrait-on dire aussi, ce qui ramène aux origines : le graffiti. Inexorablement… «Quand j’allais à l’ancien abattoir pour graffer, je voyais les traces laissées par les autres. Car un mur a toujours plusieurs histoires à raconter. On ne voit que celle à la surface, mais il y en a plein d’autres derrière! Comme avec mes toiles.»
À la bombe, à l’acrylique et au marqueur, dans des coulures et autres dégradés, il arrive que les «traces» qu’il laisse sur ses œuvres se figent, comme «si je mettais pause sur une vidéo». Mais pour quelqu’un qui dit qu’un «artiste doit toujours être en mouvement pour progresser et grandir», le répit est souvent trompeur. Au bout, tout de même, il restera probablement cette figure élémentaire s’imposant plus que toutes les autres dans son travail : la boule ou le point.
Une sorte d’atome fait de plein et de vide, métaphore de «l’infiniment grand et l’infiniment petit». Dans cette perspective qui donne le tournis, tout devient envisageable, comme ces diptyques qui s’agencent de plusieurs façons, comme dans un jeu de construction.
«Sky is not the limit», est-il d’ailleurs écrit sur une de ses toiles. Apparemment, l’artiste de 47 ans en a fait sa philosophie de vie, lui qui, après avoir fondé sa propre galerie (Gallery 1:1) et décliné son travail sur des vêtements et de la vaisselle (Villeroy & Boch), compte aujourd’hui se lancer… dans le chocolat! Avec du «Sumo consommable» prévu dans les paniers pour Pâques. Un artiste décidément plein de surprises et de réinventions. Comme dans un multivers.
«Enter to the Sumoverse»Jusqu’au 31 mai. BIL – Luxembourg.