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Esch : une escale pour les personnes en situation précaire


À L’Escale, les patients peuvent prendre leurs déjeuners ensemble afin de recréer un lien social parfois perdu dans la rue.  (photos J. N.)

Depuis bientôt deux ans, L’Escale offre aux personnes malades et en situation précaire un toit temporaire pour prendre soin d’elles. Aussi bien médicalement que socialement.

C’est une maison discrète dans la rue de Luxembourg de la Métropole du fer. Seule une petite plaque sur la façade annonce sobrement L’Escale. Une fois les portes passées, on croirait tomber sur une petite pension de famille composée de plusieurs chambres, d’un vaste salon avec salle à manger et d’une petite cuisine. Mais les apparences sont trompeuses. Si plusieurs inconnus séjournent bien ici, tous sont habituellement sans abri et nécessitent des soins.

Pilotée par le CHEM (Centre hospitalier Émile Mayrisch) et Médecins du monde, et financée par le ministère de la Santé, L’Escale assure une prise en charge médico-psychosociale pour des personnes vivant dans une grande précarité. «Elles peuvent être sans droits, bénéficier de la Couverture universelle des soins de santé (CUSS) ou même être affiliées à la CNS», énumère Anissa Torki, chargée de la direction de L’Escale pour le CHEM. Mais pour poser ses valises ici, il faut avant tout avoir un motif médical. «Si une personne a une plaie à la jambe, elle ne pourra pas se soigner en restant dans la rue, explique Guillaume Bastin, médecin coordinateur de la structure et directeur médical de Médecins du monde. Durant leur séjour ici, les plaies peuvent se refermer plus facilement.»

Guillaume Bastin, de Médecins du monde, et Anissa Torki, du CHEM, gèrent la structure au quotidien.

Ouverte depuis le 22 mars 2022, L’Escale trouve son origine dans la maison Weiler mise en place en 2020. Ce premier hébergement temporaire était géré par Médecins du monde et la Croix-Rouge. «C’est un projet né durant le covid. Alors que tout le monde était chez soi, de nombreux patients se sont retrouvés extrêmement vulnérables. Il fallait faire quelque chose», se souvient Guillaume Bastin. Médecins du monde a commencé à les héberger dans un hôtel, mais au vu du nombre croissant de personnes, une maison privée, déjà financée par le ministère, a été aménagée à Weiler-la-Tour. Deux ans plus tard, le projet s’est poursuivi à Esch, à nouveau dans une maison mise à disposition par un particulier.

«Avec notre directeur général, le CHEM s’est porté volontaire dans ce projet», ajoute Anissa Torki. Avec ses chambres aménagées, permettant d’accueillir une dizaine de personnes, son vaste salon proposant télé, livres et jeux de société ainsi que sa salle à manger, L’Escale offre un cadre intime, moins froid que l’hôpital. Ici tout est fait pour favoriser la vie en communauté même si rien n’est imposé. «Les patients peuvent manger ensemble soit grâce aux repas qu’on nous livre, soit en se faisant eux-mêmes à manger dans la cuisine.» Le personnel fait régulièrement les courses selon les besoins de chacun et le budget disponible. «Nous recevons aussi des dons de la Stëmm qui nous offre ses surplus.» De quoi permettre à chacun de cuisiner ce qu’il a envie, voire de faire à manger pour les autres. «Nous avons différentes nationalités», rappelle Anissa Torki.

«Une vraie raison d’être»

Mais si les personnes originaires d’Europe de l’Est (Serbie, Roumanie…) étaient nombreuses la première année, elles tendent à s’effacer au profit de profils luxembourgeois ou européens. «Ce sont des gens qui ont eu des accidents de la vie et n’ont plus accès aux soins», précise Guillaume Bastin. Sans adresse, beaucoup ont vu leurs droits être fermés et ne peuvent donc bénéficier de certaines structures spécialisées. Ils sont souvent pris en charge par l’hôpital, mais ce dernier ne peut les garder trop longtemps. L’Escale peut donc prendre le relais pour offrir un suivi avec, en plus, une dimension sociale. Une assistante sociale est là pour les aider à reprendre pied et faire les démarches nécessaires pour se réintégrer durablement.

«Une fois leur projet thérapeutique terminé, il nous arrive de garder des patients si nous avons des places pour continuer le travail social.» C’est cette double dimension qui a séduit le CHEM. «L’Escale a une vraie raison d’être.» Si ce n’est pas sa vocation première, la structure aide fortement à la réinsertion, à retrouver un semblant de vie normale et à casser le cycle hôpital-rue-hôpital auquel de nombreux patients sont habitués. L’hébergement reste cependant temporaire, un an maximum, afin de pouvoir aider un maximum de démunis.

L’Escale mobilise de nombreux moyens tant au CHEM qu’à Médecins du monde. En plus d’Anissa Torki, le centre hospitalier met à disposition au quotidien une assistante sociale et des infirmières, mais d’autres personnes peuvent également intervenir, comme les services techniques. Aux côtés de Guillaume Bastin, Médecins du monde emploie aussi une infirmière coordinatrice ainsi qu’un médecin bénévole, présent deux fois par semaine. «On aimerait aussi un poste de psychologue», ajoute le directeur médical.

Si L’Escale a un coût, elle permet aussi à l’hôpital de faire des économies et de contenir la surcharge de patients. «Nous contribuons à diminuer les coûts d’hospitalisation, indique Anissa Torki. Cela réduit aussi les hospitalisations prolongées, ce qui a un impact sur la population en général.» Grâce à cette voie alternative, l’hôpital peut se focaliser sur sa fonction principale : soigner. Mais les raisons économiques ne sont évidemment pas la principale motivation de L’Escale, le but reste d’aider ces personnes dans le besoin à retrouver un cadre, le temps d’une escale, pour repartir plus fortes et plus confiantes.

Une aide contre la dépendance

Si l’Escale n’est pas une cure de désintoxication, de nombreuses personnes en situation de dépendance logent dans le petit immeuble de la rue de Luxembourg. Ce nouveau cadre, plus souple, moins médical, permet à certains de relever la tête. «Le fait d’être hébergés ici peut stabiliser leur addiction, voire l’arrêter», précise Anissa Torki. Certains bénéficiaires de l’Abrigado, venus à la base pour d’autres problèmes de santé, en ont fait l’expérience. D’après Guillaume Bastin, cette petite escale leur fait beaucoup de bien. «Nous avons un patient qui est venu ici et le fait de le mettre dans une tout autre atmosphère l’a transformé. Parfois, même chez ceux dont on ne croyait pas au succès, un potentiel se libère.» Le monde hospitalier peut être en effet difficile pour ces personnes souvent compliquées à gérer pour le personnel soignant. Mais L’Escale permet une prise en charge différente qui, si elle ne résout pas les problèmes d’addiction, permet aux patients de se reprendre en main soit pour effectuer des démarches et se réintégrer, soit pour intégrer un vrai centre thérapeutique spécialisé. «On voit souvent de meilleurs résultats qu’avec d’autres personnes de l’Abrigado.»