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Le point de vue des sans-abri : au petit bonheur, la manche


Ceux qui demandent un peu d’argent aux passants peuvent toujours compter sur certains habitants de la Ville malgré l’arrêté communal.  (photo Julien Garroy)

L’interdiction de mendier, les Strummert s’en passeraient bien. La manche étant pour beaucoup d’entre eux le seul moyen de subsistance, ils n’ont guère d’autre choix que de continuer. Et tant pis s’ils se font prendre.

«Je fais la manche au même endroit depuis plus d’une vingtaine d’années. Les gens qui m’ont toujours aidé me glissent discrètement des billets. D’autres me demandent si j’ai besoin de quelque chose avant d’aller faire leurs courses et de me ramener mes bonbons préférés, un sandwich, un chocolat chaud ou une limonade», nous confiait Jean, quelques jours avant d’être hospitalisé. L’homme de 57 ans garde le moral, même si l’interdiction de la mendicité a été un coup dur supplémentaire à encaisser. La rue, les foyers, les disputes entre sans-abri, il connaît et il en a marre. «Avant, avec ce que je gagnais, je pouvais m’offrir de temps en temps un peu de confort à l’auberge de jeunesse. Depuis l’interdiction, c’est terminé. Les recettes ne sont plus aussi bonnes. Ma tente est cassée et je n’ai plus les moyens de m’en acheter une neuve», constatait cette figure de la mendicité dans la capitale.

«Les gens ont une bonne excuse maintenant pour ne rien nous donner, constate de son côté Brice. Ceux qui nous aidaient déjà avant continuent, heureusement. Cet hiver, des riverains se sont cotisés pour m’offrir des nuits à l’auberge de jeunesse. On m’apporte des thermos de café et de soupe.»  Nadia* est assise toute seule sur un banc, un gobelet en papier posé devant elle. «Avant, les passants se donnaient bonne conscience en disant qu’ils ne voulaient pas financer nos addictions. Parce que, pour eux, si on est dans la rue, c’est forcément parce qu’on est drogué, alcoolique ou trop fainéant pour travailler. C’est le cas pour certains, mais pas pour tous.» Les habitants de la rue ont tous des profils, des histoires et des parcours de vie différents. Et leur part d’ombre. Ils peuvent être effrayants, rebutants, gênants, bruyants.

Kevin*, assis sur des journaux devant le parking du Théâtre, était doublement heureux mardi matin. Une dame «très élégante» venait de lui donner un billet de 20 euros et il avait un toit au-dessus de sa tête. «La commune nous a mis une maison à disposition à mes amis et moi. Nous n’avons plus besoin de dormir dans le conteneur où nous étions depuis qu’on nous a chassés de la place du Théâtre», se réjouit-il. «J’ai une clé dans ma poche. Il n’y a pas de meubles, mais il y a un four. Je vais pouvoir me préparer des lasagnes bien chaudes.» Le lieu de la maison est tenu secret par prudence.

Même s’ils peuvent dormir au sec, Kevin et ses amis ne sont pas exempts de faire la manche. «Je n’ai pas de Revis. Si je veux manger, je dois faire la manche. J’ai la tchatche, alors ça va. Je ne me débrouille pas trop mal. Je ne dérange pas les gens», indique le jeune homme. «La police le sait et me laisse faire du moment que je n’ai pas de gobelet devant moi.» «Les policiers sont embêtés», confirme Brice. «Ils ne savent pas quoi faire de nous et nous n’avons pas envie d’avoir d’ennuis avec eux. La mendicité n’est pas interdite et je n’ai pas d’autre choix pour l’instant.» Comme beaucoup d’autres qui ne bénéficient d’aucune aide. Zoltan, philosophe après des années sur le pavé, ponctue dans un mélange d’anglais et d’italien : «L’avantage quand on n’a rien, c’est qu’on ne peut rien nous prendre. Piano, piano.»

* Prénom changé par la rédaction.

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