Aux côtés de Tom Skinner, Thom Yorke et Jonny Greenwood reviennent avec un deuxième album sous la bannière The Smile. Avec ses huit titres ultracalibrés, Wall of Eyes confirme que ce projet des deux géants de Radiohead compte s’inscrire dans la durée.
Ce serait franchement de la mauvaise foi que d’affirmer le contraire : Thom Yorke et Jonny Greenwood, l’un l’œil tombant et l’autre la mèche haute, sont parmi les compositeurs et musiciens les plus importants du dernier quart de siècle. Et par ruissellement, les plus intéressants. Évidemment, tous deux sont pour beaucoup dans le triomphe de Radiohead, groupe culte d’ailleurs toujours embarrassé par d’encombrantes attentes (son dernier album, A Moon Shaped Pool, remonte à 2016).
Le premier, en solo ou accompagné (Atoms for Peace), fera d’autres sorties, souvent mitigées, souvent teintées d’électronique. Le second, guitariste laborantin à l’aise dans les studios, signera dans un relatif anonymat de belles musiques de films et deux excellents albums estampillés «world» (Junun avec le Rajasthan Express en 2015, et Jarak Qaribak en collaboration avec Dudu Tassa l’année dernière).
Divine surprise
Mais voilà, comme au bon vieux temps lors des balades créatives le long de la Tamise, le tandem s’est mis en tête de revenir aux sources. De créer et d’enregistrer à nouveau. De terminer aussi des morceaux restés en suspens, juste comme ça, pour tuer le temps et retrouver une forme de liberté amputée par la crise sanitaire et les confinements successifs. On est en 2020 et The Smile voit le jour, avec en soutien Tom Skinner (batteur de la formation de jazz d’avant-garde Sons of Kemet), bien caché dans l’ombre des deux géants.
Habitué à ne jamais rien faire comme tout le monde, le trio fait alors une apparition inattendue à Glastonbury, sort son premier disque (A Light for Attracting Attention) en 2022, avant d’en mettre plein les yeux et les oreilles quelques semaines plus tard au Montreux Jazz Festival. Une divine surprise qui redonne le sourire à toute la planète rock. Mais pour combien de temps ?
Wall of Eyes confirme au moins une chose, essentielle : ce projet ne sera pas une simple parenthèse et compte s’inscrire dans la durée. À l’écoute des huit titres, tous ultracalibrés (de plus ou moins cinq minutes chacun), il y a d’autres évidences qui s’imposent. D’abord que The Smile a trouvé une alchimie entre ses membres : Jonny Greenwood aime toujours triturer à l’envi sa six cordes, jouer avec les dissonances, prendre des chemins de traverse. Dessus, Thom Yorke fait valoir sa voix hypnotique, vibrant en écho (quand il ne se met pas au piano), et en arrière-plan, Tom Skinner s’affirme comme la véritable troisième pièce du puzzle, moins figurant, plus présent. Le tout est enrobé par la délicatesse du London Contemporary Orchestra, aux merveilleuses parties de cordes. Au bout, un disque moins plombé que le précédent. En un mot : lumineux.
Pour les fans de Radiohead les plus têtus, un seul conseil : souriez
Mais ce qui fait tout le sel de ce groupe, c’est sa capacité, pour la moins intrigante, à montrer que le rock peut sembler d’apparence facile, tout en cachant en son sein d’innombrables subtilités. Sur des titres (à la beauté à se damner) comme l’éponyme Wall Of Eyes (et sa gratte sèche), l’électrique Read The Moon, le pop Friend Of A Friend et le vertigineux Bending Hectic, The Smile ne cherche pas la démonstration. L’ambiance est linéaire et les notes rares, un peu comme une longue improvisation en fin de week-end. Mais quand on se penche un peu plus sur son cas, les trouvailles et les jeux sonores sortent de leur cachette construite par le producteur Sam Petts-Davies. Ici, des harmonies contre-intuitives, là, des envolées aériennes. Un peu partout, une folle inventivité.
Oui, dans une habitude qui ne les quitte plus, Thom Yorke et Jonny Greenwood démontrent encore une fois que l’on peut être accessible tout en étant avide d’expériences. Que la musique, et particulièrement celle qu’ils aiment, peut se draper de facilité, mais rester d’une précieuse méticulosité. Une manière bien à eux de combler les espérances et satisfaire leurs fans à l’affût du moindre soubresaut de Radiohead. Avec The Smile, de nombreuses voix parmi les plus virulentes se sont d’ailleurs tues, comme si la renaissance de leur groupe fétiche était désormais passée au second plan. Pour les plus têtus d’entre eux, un seul conseil : souriez.
The Smile, Wall of Eyes. Sorti le 26 janvier. Label XL Recordings. Genre rock