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[BD] Lebensborn : au cœur des pouponnières nazies


(photo Bayard Graphic)

Isabelle Maroger revient sur son histoire familiale liée aux Lebensborn, ces maternités nazies fabriquant des «bébés parfaits» à la chaîne entre 1943 et 1945. Un récit-enquête captivant.

Voilà un premier roman graphique qui va faire parler de lui, ne serait-ce qu’en raison du grand écart entre le sujet, bouleversant, et le style employé pour le raconter. Avec son dessin naïf et son approche autobiographique, Isabelle Maroger rappelle sans le vouloir ses deux origines : la littérature jeunesse et le blog BD. Mais c’est une autre filiation, familiale celle-ci, dont il est question ici, avec ce nom aux lettres gothiques qui claque sur la couverture : Lebensborn, soit «source de vie» en allemand.

Un épisode moins connu de la Seconde Guerre mondiale, où l’on retient principalement l’extermination de six millions de Juifs. Mais face à cette politique de dépeuplement, les nazis cherchaient aussi à se reproduire, animés par cette fausse idée de race supérieure. D’où l’existence de ces «maternités à têtes de mort» fabriquant de purs aryens à la chaîne. De ces usines, 15 000 «bébés parfaits» naîtront entre 1943 et 1945.

C’est le cas de Katherine Maroger, la mère d’Isabelle, qui, par le passé, a déjà raconté dans un roman comment elle avait découvert avoir fait partie de ce programme d’eugénisme à grande échelle avant son arrivée en France à l’âge de deux ans (Les Racines du silence, 2008). Sa fille prend désormais le relais pour répondre sensiblement à la même question qu’elle : comment peut-on se construire si l’on ne sait pas d’où l’on vient ?

Il faut regarder le passé en face pour être en paix

Dans la postface, elle rappelle ainsi la nécessité de mettre en «lumière» le passé, de le «regarder en face pour être en paix». Avant le texte, une photographie datant de l’été dernier où, accompagnée de son garçon, elle pose devant la clinique d’Hurdal Verk, en Norvège, là où est née sa mère il y a 80 ans (la Scandinavie était le théâtre privilégié de ce projet). Un manoir, anciennement l’une des plus grandes maternités nazies de la région d’Oslo, devenu aujourd’hui une école privée pour étudiants d’où ne filtre aucune trace du passé douloureux.

C’est sûrement ça qui a motivé l’autrice : ne pas faire comme si rien ne s’était passé, surtout face à l’actuelle montée des discours réactionnaires et devant le racisme ordinaire. Tout part d’ailleurs de là : en mai 2014, dans un bus à Lyon, alors que son fils est encore bébé, une passagère la complimente pour ce bel enfant blond aux yeux bleus, avant d’ajouter, glaçante : «Ça devient rare comme race !».

«Ni fille facile, ni collabo»

À partir de là, elle décide de remonter l’histoire familiale, de raconter l’enquête qui a permis à sa mère (et donc à toute la famille) de découvrir le secret de sa naissance et toutes les conséquences qui vont avec : les bouleversements intimes, les questionnements, l’évolution des relations entre enfants et parents… Avec, toujours en arrière-plan, fantomatique, la vie de sa grand-mère, Gerd Anita, «ni fille facile, ni collabo», tombée amoureuse d’un soldat allemand, avec cette question en suspens : est-elle «victime» ou coupable»?

Au fil de cette odyssée à la fois intime et universelle, pleine d’humour et de rebondissements, Isabelle Maroger évoque la découverte d’une nouvelle famille (oncle, tante, cousins). Le choc de retrouver son grand-père génétique (documents d’époque à l’appui), ancien SS qui semble froid et peu désireux de mieux connaître sa fille et ses petits-enfants. Celui aussi, plus tard, d’apprendre le suicide de sa grand-mère… Elle parle également de ce pays fantasmé qu’est la Norvège, des liens du sang, des relations complexes mère-fille, de la condition de la femme (quand celle-ci est réduite au ventre), de l’horreur de la guerre et de l’occupation, de résistance.

Comme avec un puzzle, l’autrice rassemble les pièces qui la constituent et les restitue de façon vivante, vibrante même. Plus politique, la fin de l’ouvrage rappelle le destin, longtemps passé sous silence, de ces enfants «parias» nés dans les Lebensborn (dont la plus célèbre est Anni Frid, la grande brune d’ABBA). En 2018, tout de même, la Norvège présentera finalement ses excuses, dixit, aux «filles des Boches».

Lebensbornd’Isabelle Maroger. Bayard Graphic.

L’histoire

Un matin, tandis qu’elle se promène avec son fils, bébé, Isabelle Maroger se fait interpeller par une femme qui la complimente pour ce bel enfant blond aux yeux bleus, et qui ajoute : «Ça devient rare comme race» … Un choc pour Isabelle, qui réalise qu’il est temps pour elle de raconter son histoire. Car si elle est, elle aussi, grande, blonde et aux yeux bleus, c’est parce qu’elle est à moitié norvégienne. Sa mère est née, pendant la guerre, dans un Lebensborn, ces maternités mises en place par les nazis pour produire à la chaîne de bons petits aryens…