Rare voix du mouvement #MeToo au Japon, où le viol reste un sujet tabou, la journaliste Shiori Ito retrace son combat solitaire pour la justice dans un documentaire, présenté le week-end dernier au festival de Sundance.
Avant de devenir une rare voix du mouvement #MeToo dans son pays, la journaliste japonaise Shiori Ito, qui a accusé un influent reporter télé de viol, a d’abord été ignoré par la police, les procureurs, ainsi que par une grande partie des médias.
Avec le documentaire Black Box Diaries, en concours au festival américain de Sundance dans la compétition documentaire internationale, Shiori Ito retrace son combat solitaire pour obtenir justice, dans une affaire qui a brisé les tabous de l’archipel et fait les gros titres de la presse internationale. «Je voulais juste raconter ce qui s’est passé du point de vue d’une survivante. Ce que c’était vraiment», explique la journaliste de 34 ans. «Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre raconte mon histoire.»
Sa victoire judiciaire a contribué à la libération de la parole sur les violences sexuelles au Japon. L’année dernière, une réforme a clarifié et élargi la définition du viol dans le code pénal, pour faciliter les poursuites. Dans son documentaire, Shiori Ito chronique sa lutte contre Noriyuki Yamaguchi, un ancien journaliste de télévision qu’elle accuse de l’avoir violée en 2015, après un dîner pour discuter d’une offre d’emploi.
Proche de l’ex-Premier ministre Shinzo Abe, dont il a écrit la biographie, l’homme n’a jamais été poursuivi au pénal. Après avoir affirmé à Shiori Ito que les preuves étaient insuffisantes, la police assure vouloir arrêter le reporter, avant de se rétracter.
Je ne voulais pas que quelqu’un d’autre raconte mon histoire
Le film diffuse l’enregistrement d’un enquêteur, qui explique à la plaignante que l’ordre vient de sa «hiérarchie» et que le dossier lui a été retiré. «Au tout début, la raison pour laquelle j’ai commencé à documenter les conversations avec la police était simplement pour me protéger», raconte Shiori Ito. «J’aurais été contente s’ils avaient juste mené l’enquête, mais ça ne s’est pas passé ainsi.
Alors, j’ai continué à poser des questions.» Avec les éléments qu’elle a elle-même amassés, elle a intenté une procédure au civil contre son confrère, qui a répliqué par une plainte pour diffamation. Les tribunaux ont reconnu l’agression sexuelle et ont attribué plus de 27 000 euros de dommages et intérêts à la journaliste. Une décision confirmée par la Cour suprême en 2022.
Au-delà du feuilleton judiciaire, le documentaire montre les multiples obstacles pour briser le silence au Japon. Shiori Ito elle-même a dû s’exiler temporairement, à cause de menaces de mort. Sa propre famille «détestait ce que j’avais fait», confie-t-elle. «J’ai décidé de faire un film juste après avoir rendu mon histoire publique, et j’ai vu à quel point la réaction était négative au Japon.» Seules 4 % des femmes japonaises victimes de viol osent le signaler à la police, selon une enquête gouvernementale de 2017. La journaliste s’apprête de nouveau à séjourner hors de son pays à cause de la diffusion de son documentaire, car elle s’attend à de nouvelles menaces.
Le Japon évolue lentement, après d’importantes manifestations pour protester contre une série d’acquittements dans des cas de viols. L’an dernier, une réforme du code pénal a notamment relevé l’âge du consentement de 13 à 16 ans. «Un grand pas» qui reste «insuffisant», estime Shiori Ito. La journaliste a pris la parole en 2017, peu avant que les accusations de viols contre le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein ne débouchent sur la déferlante mondiale #MeToo. Si le mouvement l’a «vraiment aidée», il n’a pas eu la même résonance au Japon qu’ailleurs, rappelle-t-elle. «Je me suis toujours sentie très isolée. On me désignait comme « cette figure #MeToo »», se souvient-elle. «J’ai l’impression d’être devenue un mauvais exemple de ce qui se passe quand on s’exprime.»
À tâtons, la parole des femmes progresse néanmoins. En décembre, trois anciens soldats japonais ont été reconnus coupables d’avoir agressé sexuellement leur collègue Rina Gonoi. «Rina m’a contactée avant de parler publiquement», raconte Shiori Ito. «Si elle ne l’avait pas fait, l’affaire aurait été déjà close, il ne se serait rien passé.»
Le mouvement #MeToo commence même à avoir des conséquences visibles sur l’industrie du divertissement japonaise. L’année dernière, la plus grande agence de boys band du Japon a admis que son défunt fondateur, Johnny Kitagawa, avait abusé sexuellement de jeunes aspirants stars. L’éminent comédien japonais Hitoshi Matsumoto a aussi récemment été accusé d’agression sexuelle par deux femmes – ce qu’il dément formellement. «Il s’agit d’un défi et d’un combat permanents. Nous ne pouvons jamais nous arrêter», insiste Shiori Ito. «Nous ne pouvons pas laisser les choses revenir en arrière.»