Dans un film sous tension, Todd Haynes met face à face Julianne Moore et Natalie Portman. Au milieu, la relation entre une adulte et un adolescent qui a scandalisé l’Amérique.
En 1997, l’affaire a fait grand bruit aux États-Unis : une histoire d’amour peu commune entre une professeure de mathématiques et son jeune élève, alors âgé de douze ans. Une romance sulfureuse (et interdite par la loi) qui, à l’époque, a fait les choux gras de la presse à scandales et valu à la principale intéressée quelques années de prison. Comme un fait divers est toujours propice à la fiction, Todd Haynes en a fait un film. Connu pour le thriller Dark Waters sur un autre scandale (sanitaire celui-ci), la romance Carol et plusieurs autres œuvres musicales (I’m Not There, The Velvet Underground), le réalisateur américain ressort les vieux dossiers et imagine une histoire au féminin portée par un duo de choc : son actrice fétiche (Julianne Moore, qui a déjà joué dans quatre de ses longs métrages) et Natalie Portman.
La première incarne Gracie, dont la vie a été chamboulée des années plus tôt par la révélation de sa relation avec un garçon de treize ans auquel elle avait déclaré son amour. Depuis, l’adolescent a grandi, le couple a tenu et fait des enfants mais Gracie, qui s’occupe l’esprit en vendant des gâteaux au voisinage, est toujours inscrite au fichier public des délinquants sexuels et détestée par ceux qui n’ont pas oublié son histoire (à preuve, ces colis remplis d’excréments qui arrivent toujours dans sa boîte aux lettres). À Savannah (en Géorgie), dans une maison posée au bord de l’eau, la banalité du quotidien semble toutefois avoir pris le dessus, jusqu’à l’arrivée du grain de sable : Elizabeth (Natalie Portman), actrice notoire qui débarque dans leur foyer avec un projet de film sur cette famille pas comme les autres. Elle jouerait le rôle de Gracie lorsqu’elle est tombée amoureuse de l’adolescent, avec la promesse de faire mieux comprendre son point de vue au grand public. Et la menace de faire remonter à la surface des souvenirs douloureux vieux de vingt ans.
Ça me rend dingue quand les gens prétendent que le monde serait meilleur si les femmes le dirigeaient!
Carnet en main, saisissant les moindres gestes et attitudes de son double, elle cherche à incarner totalement son personnage, à «se rapprocher de quelque chose de vrai», dit-elle. Comme une enquêtrice, elle va aussi rencontrer les témoins de l’histoire (ex-mari, enfants, avocat) pour se rendre compte que la famille n’a jamais regardé son passé en face, et que les liens qui unissent les deux anciens amants sont extrêmement fragiles. En vivant au plus près du couple, notamment du mari Joe Yoo (Charles Melton) – a qui l’on a «volé» l’enfance et qui cherche à renaître, à l’instar des chenilles dont il s’occupe –, Elizabeth va elle-même tomber dans un jeu de plus en plus flou… «Ça ébranle notre confiance!», explique Todd Haynes dans le dossier de presse, avant d’appuyer, définitif : «C’est cela qui me séduit : mettre le spectateur dans une position instable, dans laquelle il doit constamment réévaluer ce qu’il pense des personnages».
May December (expression anglaise qui désigne une relation où les deux partenaires ont une grande différence d’âge) est donc cela : un jeu ambigu de faux-semblants et de non-dits, appuyé par une musique mélodramatique tout en tension, une économie de style et une image granuleuse. Le film «explore l’une des grandes caractéristiques de l’espèce humaine : son impressionnante capacité à ne jamais se regarder en face», poursuit le cinéaste, évoquant dans la foulée le rôle trouble du personnage de Nathalie Portman : «Le portrait honnête qu’elle espère dresser et son implication dans la découverte de ce qui constitue la vérité sont obscurcis par ses propres ambitions, ses présomptions, ses propres dénis». Jusqu’à l’irrémédiable…
Présenté au festival de Cannes l’année dernière, le film, avec ce duo qui «se comporte de façon moralement ambiguë, élargit le spectre des possibilités de représentation des femmes», a souligné Natalie Portman sur la Croisette, avant d’ajouter : «Ça me rend toujours dingue quand les gens prétendent que le monde serait meilleur si seulement les femmes le dirigeaient. Eh non! Les femmes sont des humains, avec toutes leurs nuances». Et le mécanisme de déni au cœur de May December nous concerne tous, estime encore Todd Haynes : «On réprime nombre de nos désirs pour la bonne cause. C’est comme ça que la civilisation tient!». Au cœur des dilemmes moraux bousculés par le trio de l’histoire, le public suit un même équilibre instable, incapable de déterminer qui a tort et qui a raison.