Depuis 2014, Natalia Pavlyk, habitante de Sanem, vient en aide à l’Ukraine avec l’ASBL Ukraïnka qu’elle a fondée, entourée d’une quinzaine d’amies et avec du courage, du temps et de l’amour pour son pays.
La voix encore enrouée par une fin de bronchite, Natalia Pavlyk ne manque pas d’énergie pour autant. À peine entrée chez elle, à Belvaux, que la visite guidée commence. D’un ton aussi enjoué que fier, elle présente les différentes pièces de son domicile dédiées au stockage du matériel de l’ASBL Ukraïnka, «l’Union des femmes ukrainiennes au Luxembourg», qu’elle a créée en décembre 2014 afin de venir en aide à son pays d’origine. Après avoir vécu près de la moitié de sa vie en Ukraine, Natalia est arrivée au Grand-Duché il y a 30 ans, sans oublier son pays, dont elle porte la vychyvanka (chemise traditionnelle), ni son engagement de toujours. «En 1989, j’ai ouvert à Lviv la première classe ukrainienne dans une école russe, c’était deux ans avant notre indépendance et ce n’était pas facile du tout», se remémore-t-elle. «Même après la fin de l’Union soviétique, ça a toujours été compliqué avec la Russie.»
Ses premières années au Luxembourg sont, elles, plus calmes. Son activisme reste donc en pause et elle décide d’ouvrir une agence matrimoniale à son domicile, bien aidée par ses qualités relationnelles et son éloquence. Un métier qu’elle apprécie, «avec une vie intensive, en contact avec toutes les nationalités». Mais pour elle, l’arrivée d’internet change la donne et les conceptions du couple, au point où elle décide d’arrêter son activité. Quelque mois après, le début de la «révolution de Maïdan», en février 2014 à Kiev, marque le retour de son engagement pour son pays. «J’ai commencé à rassembler des vêtements et des chaussures pour leur envoyer.» Après ce soulèvement populaire contre le président Viktor Ianoukovytch, décrié pour avoir suspendu l’accord d’association avec l’Union européenne pour relancer des discussions avec la Russie, le conflit s’envenime avec l’annexion russe de la Crimée. Les vêtements récoltés par Natalia ne suffisent plus.
Union de femmes
Pour être plus efficace, elle décide donc de trouver des mains supplémentaires afin de l’épauler et fonde l’ASBL Ukraïnka le 29 décembre 2014. À ses côtés se trouvent uniquement des femmes d’origine ukrainienne, une quinzaine aujourd’hui, avec qui elles forment «une petite famille» : l’Union des femmes ukrainiennes de Luxembourg. «Ce n’est pas fait exprès qu’il n’y ait que des filles, on était cinq et comme on ne prend pas n’importe qui, c’est forcément des gens qu’on connaît.» Les hommes ne sont pas écartés pour autant, les compagnons de chacune donnant un coup de main si besoin. «Mais on reste à 15 car ça marche bien, on ne se dispute jamais, on ne se voit presque jamais donc on est contentes de se voir.»
Avant de créer l’ASBL, l’idée de rejoindre une plus grosse association lui a traversé l’esprit, toutefois «je préfère donner peu mais avec le cœur et savoir où va ce que les gens donnent». «Les grandes organisations envoient dans un fonds mais ce qu’il se passe après, on ne sait presque jamais.» Très pointilleuse, Natalia se rendait vérifier la réception des colis au moins une fois par an au front, à Pisky, Bakhmout ou Selydove, avant que «la grande guerre» éclate en février 2022. «Pas parce que j’ai peur», enchaîne-t-elle. Mais depuis l’escalade du conflit, les conditions de voyage se sont détériorées et un problème d’articulations l’empêche de faire 24 heures de route, serrée dans le minibus qui fait le trajet Ukraine – Luxembourg toutes les deux semaines, afin d’envoyer des colis entre les deux pays.
Un don, un merci
L’aide humanitaire d’Ukraïnka prend elle la route, lorsqu’il y a de quoi remplir un minibus et une remorque. Le prochain convoi devrait partir en février prochain. D’ici là, Natalia stocke chez elle des sacs de couchage, des conserves, du chocolat, de la nourriture pour chats, des bandages, des protections, des béquilles ainsi que les précieux dons d’équipements en provenance d’Hospilux. «Chaque 28 du mois, un camion vient et on récupère des choses qui sinon finissent jetées ou brûlées. On recycle», rigole-t-elle. Elle récupère des fauteuils roulants ou des stéthoscopes abîmés et ne peut cacher son émotion lorsqu’elle évoque des soignants ukrainiens qui s’embrassent en recevant un paravent médical ou un distributeur d’essuie-mains mural. «Au Luxembourg, c’est normal d’avoir tout ça et c’est pour ça qu’on a fait Maidan en 2014 : pour vivre comme les autres.»
En 2022, l’ASBL a récolté environ 100 000 euros, principalement avec des dons mais aussi des actions caritatives. Pour l’année 2023, Natalia travaille encore 1 à 3 heures par jour afin d’avoir un rapport annuel sur les chiffres, mais ceux-ci devraient être inférieurs à l’année dernière selon elle. Croyante et de nature combative, la soixantenaire ne se laisse pas abattre pour autant et met toujours du cœur à l’ouvrage. Même pour le plus petit des dons, le donateur a le droit une carte de remerciements : «Les 20 euros d’une personne qui lui reste 50 euros pour finir le mois, c’est plus à mes yeux que 1 000 euros de quelqu’un qui gagne beaucoup.»
Sur chaque colis envoyé au front, elle prend également le temps d’y placer une photo et un bref descriptif du donateur afin que les soldats «sentent qu’on est avec eux, même de loin. Ça leur fait du bien de voir qui les soutient». Comme elle aime le dire, Natalia trouve le sens de son engagement dans ses petits gestes si importants, quels que soit la taille de l’ASBL ou le montant du don. «Même si ce n’est rien, ça réchauffe leur cœur.»
«La situation est catastrophique»
Après un an et dix mois de combat, Natalia jette un regard inquiet sur la situation en Ukraine. L’état d’esprit? «Il est mauvais, la situation est catastrophique», lance-t-elle. Quotidiennement confrontée à un conflit qui s’éternise, la population montre des signaux de fatigue. «Les gens sont usés. Beaucoup de mes amis disent : « Je ne descends plus au bunker, je suis fatigué et si je dois mourir, je meurs. »» Du côté des soldats avec qui elle échange, le moral n’est pas au beau fixe non plus. L’attente des armes promises se fait longue, le gouvernement n’est pas toujours présent et les élections américaines en novembre 2024 les inquiète. «Si Trump passe, il peut arrêter de donner et ça serait vraiment triste pour nous.»
Depuis l’extérieur, la situation n’est pas plus facile. «Les donations sont à la baisse aujourd’hui. Les gens qui nous connaissent donnent, mais sinon ça baisse.» Les contrôles à la frontière se sont également intensifiés, rendant l’envoi de dons plus complexe. «Il faut encore plus d’autorisations afin de rentrer et de distribuer à différents endroits, ce n’est vraiment pas le moment», regrette-t-elle.