L’organisation non gouvernementale Fairtrade veut profiter de la présidence du Conseil de l’UE par le Luxembourg pour légiférer sur les minerais de conflit.
Ordinateurs, tablettes, téléphones ou encore voitures, mais aussi armes et satellites. Avec le développement de l’électronique, les terres rares sont devenues indispensables à l’économie mondiale. Tellement indispensables que leur origine importe peu aux acheteurs, tant qu’ils parviennent à s’en procurer. Souvent issue de forages légaux exploités par des compagnies reconnues, une partie des minerais arrive de zones de guerre ou d’instabilité.
«L’Europe est à la traîne»
Pour une bonne part d’Afrique, mais aussi de Colombie, d’Afghanistan ou de Birmanie, comme le souligne Frédéric Triest, spécialiste français au sein du Réseau européen pour l’Afrique centrale (Eurac). « Dans la région des Grands Lacs, tungstène, tantale, étain et or attisent les convoitises, analyse Frédéric Triest. C’est pourquoi nous demandons depuis 2012 de la transparence et de la traçabilité autour de ces minerais. »
Le 20 mai de cette année, le Parlement européen a ainsi amendé le projet de règlement de la Commision destiné à s’attaquer aux minerais de conflits. « La présidence luxembourgeoise doit finaliser le dossier , assure-t-il. L’approche volontaire n’est pas efficace, nous l’avons vu. Alors il faut un cadre légal. »
Dans le viseur, les près de cinq cents sociétés qui importent du minerai brut mais aussi tous les utilisateurs intermédiaires et finaux. « Il faut que toute la filière assure la traçabilité de ses matériaux. » Car le marché noir est aussi à l’origine de nombreuses victimes : les populations civiles qui vivent dans les zones de contrôle des ressources.
Eurac continue son travail de lobbying auprès des États européens. Mais ceux-ci restent encore très prudents. « Nous leur demandons d’adopter une position commune, mais nous en sommes encore loin. »
Jeudi, Eurac et Fairtrade Luxembourg ont rencontré les autorités du ministère des Affaires étrangères. Sans ressortir avec la moindre garantie. Bon nombre de sociétés minières et technologiques ont des sièges sociaux ou des filiales au Luxembourg, ce qui ne facilite pas la volonté de transparence.
La coopération pour soutenir les populations
« L’Europe est à la traîne sur les autres continents. La Chine vient d’achever un projet de traçabilité des minerais et les États-Unis possèdent déjà une législation contraignante , regrette Frédéric Triest. Il faudrait exiger des sociétés qui souhaitent entrer sur le marché intérieur européen de répondre à ces normes de traçabilité. »
Pour Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Lëtzebuerg, « l’Union doit s’inspirer du règlement concernant le bois et ses produits dérivés, adopté en mars 2013 ». Sans pour autant pénaliser les mineurs artisanaux en Afrique.
« On estime par exemple qu’ils sont deux millions au Congo-Kinshasa. Ils feraient vivre directement près de dix millions de personnes », prévient Frédéric Triest. L’ONG Fairtrade souhaite ainsi que les politiques européennes de coopération permettent d’organiser l’activité sans que celle-ci ne profite aux seigneurs de guerre.
Le Luxembourg, président du Conseil de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre, a encore deux mois et demi pour faire avancer un dossier qui ne semble pas faire partie de ses priorités. « Nous attendons du Grand-Duché qu’il adopte une position officielle sur les minerais de conflit et leur traçabilité », lance Frédéric Triest. Son travail de lobbying est loin d’être achevé.
Christophe Chohin