Les pouvoirs publics la disent condamnée par l’urgence climatique et le besoin de sortir de la dépendance au pétrole. Mais la chaudière à fioul se vend encore, grâce à de nouveaux modèles à base d’huile de colza.
La part de colza dans le «biofioul» actuellement commercialisé en France est encore minoritaire : pas plus de 30 % pour l’instant. Cependant, cela pourrait rapidement changer et à terme – sans doute pas avant 2030 – la chaudière F100 n’aura plus de fioul que le nom et contiendra 100 % de colza, assurent les fabricants.
À Cagnes-sur-Mer sur la Côte d’Azur, les copropriétaires de l’immeuble Les Grillons, lâchés début 2023 par leur vieille chaudière au fioul, ont longuement hésité. Impossible de la remplacer, s’est d’abord dit leur syndic Jean-Christophe Dor. «Soit il fallait se raccorder au réseau du gaz, soit renoncer au chauffage collectif et opter pour des convecteurs individuels, ce qui supposait de changer toute l’alimentation électrique de l’immeuble.» «Je leur disais, le fioul, c’est mort… jusqu’à ce qu’on me dise que c’était envisageable en passant sur un brûleur biofioul», raconte Monsieur Dor, en ressortant les devis. À sa grande surprise, la solution biofioul se révélant moins chère que le gaz ou les convecteurs, c’est elle qui a emporté les suffrages et été installée en octobre.
Ressource limitée
Selon les fabricants, il s’est vendu près de 10 000 chaudières compatibles biofioul depuis le début des ventes mi-2022.«Ce n’est pas forcément un bon calcul économique», objecte Claire Tutenuit, déléguée générale du groupe de réflexion Entreprises pour l’Environnement et rapporteuse d’un avis du Conseil économique et social (CESE) sur la biomasse. Selon elle, le prix du biofioul est voué à grimper parce qu’il y aura une compétition accrue pour l’huile de colza. La France en produit, notamment pour fabriquer du biodiesel B7, mais elle doit aussi en importer. De manière générale, pointe-t-elle, toute la biomasse agricole est convoitée par de nombreux secteurs à la recherche d’alternatives pour utiliser moins de pétrole. L’Ademe, l’agence qui est le bras de l’État pour la transition écologique, confirme que la question de la ressource en biomasse est cruciale.
«Techniquement, il n’y a pas de frein et on peut progressivement monter à 100 % de colza ou d’une autre ressource agricole (dans la chaudière), la difficulté n’est pas là», admet Jérôme Mousset, directeur Bioéconomie et Énergies Renouvelables à l’Ademe. «La question est celle de la ressource en biomasse. Elle est certes renouvelable, mais limitée aux capacités de productions agricoles et forestières. À partir de là, on est obligé de ne pas la gaspiller, de la mettre là où elle est indispensable et de donner la priorité aux secteurs qui n’ont pas d’alternatives», ajoute-t-il.
Le fioul, un «gros mot»
Le scénario prospectif de l’Ademe, «Transition 2050», ne prononce d’ailleurs pas le mot de «biofioul» : «On a réservé les biocarburants strictement pour les besoins des transports et on fait l’hypothèse que, pour le résidentiel, il y a d’autres solutions pour remplacer le fioul», poursuit-il. L’Ademe et les pouvoirs publics préfèrent miser sur les efforts de sobriété (chauffer moins), la rénovation des bâtiments (chauffer mieux), les réseaux de chaleur, les pompes à chaleur, le bois, le biogaz. «Si on veut faire du biofioul, ce n’est pas magique, il faut sacrifier autre chose», prévient-il tout en reconnaissant que les changements liés à la transition énergétique «sont compliqués pour tout le monde, les usagers, les producteurs, etc.» «Le fioul est devenu un gros mot», concède Éric Layly, le président de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages (FF3C) qui regroupe les petites et moyennes entreprises de la distribution indépendante d’énergie hors réseau, livrant fioul, bois, pellets ou granulés.
La profession réfléchit d’ailleurs sérieusement à changer de nom quand le seuil de 55 % de colza dans le combustible sera franchi. Une étape attendue pour 2025-2026. «Certes, la chaudière au fioul fossile est condamnée, mais elle peut être remplacée par une chaudière biofioul», insiste Monsieur Layly et cette perspective est selon lui sous-estimée dans la planification écologique gouvernementale qui prédit la quasi-disparition de la chaudière au fioul à partir de 2035.«Il y a un écart entre les souhaits du gouvernement et la réalité», soupire Monsieur Layly. «Le chauffage au fioul est très bien implanté en zone rurale, c’est pourquoi notre analyse est qu’il restera la moitié environ du parc actuel en 2035 soit 1,5 million de chaudières contre 2,8 millions aujourd’hui».
Entre se nourrir et se chauffer, il faudra bientôt choisir. Les surfaces cultivables ne sont pas extensibles à l’infini.
Détail que tous ces écolos férus de bio-fuels semblent oublier.