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Tintin au Congo remis dans son contexte


Sur les aventures du reporter dans ce très vaste pays qui fut colonie belge de 1908 à 1960, la polémique ne s'est jamais vraiment éteinte depuis plus d'un demi-siècle. (Photo : éditions moulinsart)

Discrètement, Tintin au Congo est reparu dans sa version originale, colorisée, dotée d’une nouvelle couverture et, pour la première fois, munie d’une préface qui remet en contexte cet album à la gloire de la colonisation.

Paru en feuilleton en 1930-1931 dans Le Petit Vingtième, Tintin au Congo est republié dans sa version originale. L’album est vendu au sein d’un coffret regroupant «les colorisés», soit les trois premières aventures du reporter créé par Hergé, avec Tintin au pays des Soviets (1930) et Tintin en Amérique (1932), publiées à l’origine en noir et blanc, mais mises en couleurs par les éditions Moulinsart et Casterman. Surtout, Tintin au Congo est accompagné pour la première fois d’un texte qui replace l’œuvre dans son contexte.

Pascal Blanchard, historien spécialiste de l’imaginaire et de la propagande colonialistes, affirme : «C’est très intéressant et intelligent de (la) part (des éditeurs) de faire ce travail. Car il faut publier Tintin tel qu’il était à l’époque.» Pour autant, «je trouve étonnant que la couverture ne mentionne pas cet avant-propos. Et que le petit garçon congolais disparaisse : cette couverture, ils l’ont déracialisée !» Dans l’édition de 2023, Tintin y tombe nez à nez avec un lion.

Les lecteurs connaissent mieux celle de la version couleur de Tintin au Congo de 1946, où le jeune héros est au volant d’une voiture. Cet album avait été entièrement revu. Exemple : Tintin y donne un cours de mathématiques à des écoliers congolais, alors qu’à l’origine (et donc dans la réédition de 2023), sa leçon porte sur «votre patrie : la Belgique» !

Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient

Racisme ou caricature ?

Sur les aventures du reporter dans ce très vaste pays qui fut colonie belge de 1908 à 1960, la polémique ne s’est jamais vraiment éteinte depuis plus d’un demi-siècle. Autour d’une question surtout : les personnages noirs de l’album sont-ils représentés de manière simplement caricaturale, ou franchement raciste? Hergé lui-même avait vu cette controverse monter à la fin de sa vie. Il avait répondu au journaliste Numa Sadoul en 1975 : «Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient (…) Je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le plus pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque.»

Pour la préface de la nouvelle édition, l’auteur choisi n’est pas un observateur neutre. Philippe Goddin, expert de BD, préside l’association Les Amis de Hergé. Il a longuement recherché les sources choisies par Hergé, à la fois pour son dessin et pour son scénario. Et il est catégorique, lui ne voit pas de racisme : «On a dit que Hergé a odieusement caricaturé les Congolais. Raciste, lui? Il s’en est vigoureusement défendu (…) Il brocarde allègrement tout son monde, Blancs comme Noirs», écrit le préfacier.

Cette position, Philippe Goddin l’explique aujourd’hui : «On est raciste à partir du moment où on veut dénigrer, rabaisser l’autre, ce qui n’est pas le cas de Tintin au Congo. Bien sûr, il y a des stéréotypes, des caricatures. Hergé insiste sur les grosses lèvres, les nez épatés, comme beaucoup de dessinateurs à l’époque. Mais pour moi, même si la frontière est fragile entre caricature et racisme, il ne la franchit pas.»

«Ignorer la violence»

Pour sa part, Pascal Blanchard se dit peu convaincu. «Cette préface est très contestable. Elle nous dit que Hergé serait une simple éponge de son époque. C’est léger, c’est faux», insiste-t-il. Pour l’historien, «Hergé a fait un choix politique d’ignorer les sources qui décrivent la violence de la colonisation. Et Philippe Goddin abuse d’un paradoxe : en nous montrant que Hergé est au plus près des photos qui lui parviennent du Congo, il considère que l’iconographie sur les colonies, dans un pays doté d’une agence de propagande coloniale, deviendrait une source de véracité. Non, c’est une propagande.»

Pascal Blanchard en aurait voulu plus, par exemple «une deuxième préface signée d’un grand historien comme Elikia M’Bokolo», Congolais spécialiste de l’Afrique aux XIXe et XXe siècles. Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), un collectif français, a plusieurs fois interpellé sur la nécessité d’ajouter une préface à Tintin au Congo, en vain. Il salue aujourd’hui la préface de 2023, indépendamment de ce qui y est écrit. «C’est depuis 2007 qu’on se bat pour l’avoir, donc c’est une satisfaction. Le bon sens l’a emporté», a déclaré le fondateur du CRAN, Patrick Lozès.

«Cet album renvoie à une époque, heureusement révolue, où il était acceptable de considérer les Noirs comme des êtres inférieurs», a-t-il ajouté. «Dans l’album, les Africains sont les seuls à s’exprimer comme des imbéciles. Même un chien parle mieux qu’eux. On ne pouvait plus laisser les jeunes lecteurs face à ça, sans contexte, sans explication.»

Des polémiques à travers le monde

BELGIQUE Au pays de Tintin, les aventures du jeune reporter sont très largement diffusées, et régulièrement rééditées. Mais la justice a dû examiner une plainte en 2009 d’un Congolais, Bienvenu Mbutu Mondondo, qui réclamait d’interdire la vente de Tintin au Congo, ou à défaut d’imposer un bandeau d’avertissement ou une préface mettant en évidence les préjugés raciaux dans l’ouvrage. En 2012, un tribunal de Bruxelles a tranché, estimant que Hergé n’avait aucune «intention discriminatoire». L’album peut être vendu sans restriction, ni avertissement.

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO Les Congolais sont fans de l’album, qui fait partie de la culture populaire du pays. Génération après génération, son succès ne se dément pas. «Malgré la controverse» et les «images caricaturales des personnages noirs», écrivait en 2021 une chercheuse congolaise au Danemark, Elie Kabishi Luabeya-Masengo, «jeunes et adultes le lisent encore ou cherchent à le lire (…) Cette œuvre, non seulement a donné le goût de la lecture des bandes dessinées aux jeunes Congolais, mais elle a également inspiré même certains auteurs congolais de bandes dessinées.» L’album, largement disponible, reste un produit d’importation : «Tintin au Congo n’a jamais connu d’édition en RDC», relève Munkulu di Deni, écrivain, critique littéraire et professeur de littérature à Kinshasa.

ÉTATS-UNIS Traduit pour la première fois en 1991, Tintin in the Congo avait été supprimé d’une réédition de tous les albums du reporter, de crainte qu’un seul titre éclipse tous les autres. L’éditeur historique de Tintin aux États-Unis, Borders, ayant disparu en 2011, les lecteurs peuvent se procurer en ligne l’édition britannique de 2016 par Casterman, qui comprend une préface des traducteurs. Très brève, elle rappelle la défense d’Hergé qui expliquait avoir relayé ce que tout le monde disait du Congo à son époque. L’album est absent des bibliothèques publiques et librairies américaines.

SUÈDE Tintin i Kongo, paru à l’origine en 1948, a été l’objet de plusieurs débats d’ampleur nationale. En 2007, l’album a été visé par une plainte pour racisme, classée sans suite. En 2012, quand une bibliothèque pour enfants de Stockholm a annoncé le retirer de ses rayons, de nombreuses voix se sont élevées pour ou contre. La presse a découvert que cette bibliothèque n’en possédait pas d’exemplaire, en vérité. L’édition de 2004 contient une préface du traducteur Björn Wahlberg. «Les Africains sont grossièrement caricaturés», prévient-il. «L’album doit plutôt être lu comme un document historique venu d’une Europe disparue.»

DANEMARK Le Danemark est le pays qui fit modifier Tintin au Congo. L’éditeur danois trouvait inacceptable une scène dans laquelle Tintin fait exploser un rhinocéros à la dynamite. Hergé avait donné son accord pour la supprimer dans la parution en feuilleton en 1948-1949. Dans l’album paru en 1975 au Danemark, l’auteur dessine le rhinocéros qui fuit.

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