Raconter le quotidien d’un employé des toilettes publiques de Tokyo : dans Perfect Days, en salles mercredi, Wim Wenders livre une ode à la beauté de la vie ordinaire.
La nouvelle fiction du cinéaste allemand Wim Wenders, Perfect Days, est portée par un acteur au sommet de son art : c’est le Japonais Koji Yakusho, qui a décroché le prix d’interprétation masculine pour le rôle de Hirayama, un gardien de toilettes publiques de Tokyo, lors de la dernière édition du festival de Cannes.
«Je veux particulièrement remercier Wim Wenders et le coscénariste (NDLR : Takuma Takasaki). Vous avez créé un personnage magnifique», avait réagi celui qui est une star dans son pays, lors de la réception de sa récompense. Wenders dit avoir choisi l’acteur pour l’avoir «vu dans une douzaine de films» et «toujours admiré».
Près de quarante ans après avoir suivi les traces du cinéaste Yasujiro Ozu dans le documentaire Tokyo-Ga (1985), le réalisateur de Paris, Texas (Palme d’or en 1984) signe son retour dans la capitale japonaise, à 78 ans. Le film s’inspire du mot japonais «komorebi», qui décrit le jeu de la lumière à travers les arbres. C’est autour de cet effet visuel que s’épanouit le lyrisme de ce long métrage à la simplicité trompeuse, qui s’étire sur deux heures.
«J’ai imaginé un homme qui avait un passé privilégié et riche et qui avait sombré profondément. Et qui a eu une révélation un jour, alors que sa vie était au plus bas, en regardant le reflet des feuilles créé par le soleil qui éclairait miraculeusement l’enfer dans lequel il se trouvait», raconte Wim Wenders. Une «apparition» qui «l’a sauvé» : l’homme «a choisi de vivre une autre vie, faite de simplicité et de modestie».
«Attitude spirituelle»
Le cinéaste allemand connaît de nombreuses histoires de «grands chefs d’entreprise qui ont gagné le respect de leurs employés seulement après qu’ils sont arrivés au travail avant eux et qu’ils ont nettoyé les toilettes communes». Au Japon, «il ne s’agit pas d’un travail « inférieur ». Il s’agit plutôt d’une forme d’attitude spirituelle.»
Ainsi, donc, Hirayama, un salarié des toilettes publiques de Tokyo, homme taiseux et solitaire, grand collectionneur de cassettes audio de classiques du rock. De sa vie, le spectateur ne sait presque rien. Mise en scène épurée, peu de dialogues : Wim Wenders filme avec beaucoup de poésie, et sans jamais verser dans le cynisme, l’éveil d’un homme qui s’est renfermé sur lui-même à la suite d’un évènement traumatique. «On m’avait donné très peu d’informations sur le personnage… Il y avait énormément de mystère. Encore aujourd’hui, c’est un personnage dont j’ignore presque tout», avait confié Koji Yakusho en marge du festival de Cannes.
Omniprésent à l’image, l’acteur transmet la dignité d’un homme humilié qui, pour survivre, a coupé toutes ses relations mais n’a pas pour autant renoncé à vivre. «Travailler avec Wim Wenders a été une sacrée expérience», avait-il poursuivi. «C’était la première fois que je tournais comme ça, sur une durée très courte, sans répétition.»
«Un romantique allemand»
Pour le réalisateur, Perfect Days «ne pouvait devenir un film que si nous parvenions à créer un gardien unique, un personnage vraiment crédible et réel. Son histoire seule compterait, et ce n’est que si sa vie valait la peine d’être suivie qu’il pourrait porter le film, et ces lieux, et toutes les idées qui y sont attachées.»
Le film est dédié à Yasujiro Ozu. «Son œuvre est un compte rendu presque sismographique de l’évolution de la culture japonaise entre les années 1920 et le début des années 1960», analyse Wenders. Du maître japonais, il a retenu «principalement le sentiment qui imprègne ses films que chaque chose et chaque personne est unique, que chaque moment ne se produit qu’une seule fois, que les histoires quotidiennes sont les seules histoires éternelles».
Du temps de Paris, Texas, Wenders a découvert être «dans (s)on cœur et dans (s)on âme, un romantique allemand». Aujourd’hui, il réfléchit : «À l’écran, on essaye de jeter de la lumière sur le monde, sur des histoires, sur des personnes. Ce que j’ai fait dans mon cinéma, c’est d’éclaircir cette question : comment nous vivons, comment on peut vivre mieux?»
Lui qui se sent parfois comme un «dinosaure» cherche encore la réponse définitive, mais a trouvé une piste grâce à son travail : «J’aime que chaque film trouve un nouveau langage (…) Je fais des films parce que je ne sais pas comment les faire. Si je savais comment les faire, je m’arrêterais», dit-il. Pour le moment, et alors même qu’à Cannes, il avait présenté en parallèle de Perfect Days le documentaire Anselm (un film immersif et en 3D sur le travail du peintre et sculpteur Anselm Kiefer), il est tourné vers son prochain film. Pour Wim Wenders, l’hégémonie du streaming et les effets de la pandémie ont mené le 7e art à «une crise existentielle». Mais «le cinéma va survivre», affirme-t-il. Il faut simplement le «réinventer».
Perfect Days, de Wim Wenders.
Wim Wenders à Tokyo
TOKYO-GA (1985)
Wim Wenders définit Tokyo-Ga comme «un journal intime sur pellicule». Mais aussi, plus généralement, un journal intime sur le cinéma, à travers un hommage à son maître et géant du cinéma japonais, Yasujiro Ozu. Tourné au printemps 1983, 20 ans après la mort d’Ozu, le film montre Wenders interroger plusieurs de ses collaborateurs habituels et déambuler dans le Tokyo contemporain, aux accents futuristes, dont il filme la vie quotidienne.
CARNETS DE NOTES SUR VÊTEMENTS ET VILLES (1989)
Le Centre Pompidou avait commandé à Wim Wenders un court métrage sur le créateur de mode japonais Yohji Yamamoto. L’occasion d’aller filmer à nouveau Tokyo; c’est finalement un documentaire de près de 90 minutes que livrera le réalisateur allemand. À la fois regard sur le travail du couturier et carnet de bord, le film met en relation Tokyo et Paris tandis que Yamamoto vole entre les deux. Et Wenders de réfléchir, deux caméras en main (une à pellicule et une vidéo), à ce qui lie et à ce qui oppose les deux capitales.
BIS ANS ENDE DER WELT (1991)
Wim Wenders s’est rendu à de nombreuses reprises au Japon depuis la fin des années 1970, mais c’est avec ce film qu’il met pour la première fois en scène Tokyo dans un film de fiction. De science-fiction, même, puisque ce thriller futuriste et romantique, qui transporte les personnages aux quatre coins du monde, donne à voir deux facettes du Japon : le Tokyo nocturne, illuminé par les néons, et le Japon rural, celui de la vie humble dans les montagnes.