La série phénomène The Crown, consacrée au règne d’Elizabeth II, se conclut sur un événement qui a fait vaciller la monarchie britannique comme rarement : la mort de la princesse Diana.
Au fil des 60 épisodes de The Crown diffusés depuis 2016, la reine Elizabeth II aura été interprétée successivement par Claire Foy, Olivia Colman puis Imelda Staunton. Depuis le mariage de la jeune princesse dans le Royaume-Uni d’après-guerre aux crises familiales des années 1990, la série, avec pléthore de stars et un budget estimé à des centaines de millions de dollars, entremêle événements historiques et scènes intimistes, assumant des libertés parfois controversées avec la vérité. Mais selon la spécialiste des médias Laura Clancy, «The Crown est certainement un document culturel clé vers lequel le public se tourne pour comprendre la monarchie britannique d’aujourd’hui».
Dans les années précédant sa mort, le 8 septembre 2022, le succès planétaire de la série Netflix a contribué à ériger au statut d’icône cette souveraine qui est toujours parvenue à garder la moindre de ses opinions secrète et a rarement laissé percer ses émotions en public. La sixième et dernière saison – dont les dix épisodes sortiront en deux temps : une moitié jeudi, l’autre le 14 décembre – relate les dernières semaines de la vie de la princesse Diana, après son divorce mouvementé avec l’actuel roi Charles III et jusqu’à sa mort, le 31 août 1997. Pourchassée par des paparazzis, la berline qui transportait Lady Di s’était encastrée dans un pilier du tunnel de l’Alma à Paris, tuant la princesse de 36 ans et son nouvel amour, le riche héritier égyptien Dodi Al-Fayed.
Manque de respect
La reine avait alors tardé à réagir à l’immense émotion populaire suscitée par la disparition de celle que le Premier ministre Tony Blair a surnommée la «princesse du peuple», et la famille royale a mis des années à surmonter ce traumatisme. «Vous avez enfin réussi à tout renverser dans cette maison. Ce n’est rien de moins qu’une révolution», lance la reine à la princesse, interprétée par Elizabeth Debicki.
Amie des célébrités et figure médiatique, Diana s’était forgé une popularité planétaire en affichant son empathie avec les plus démunis. Elle reste l’objet d’une immense admiration au-delà du Royaume-Uni et sa mémoire jette une ombre sur l’image du roi Charles III ainsi que sur son épouse, la reine Camilla, qui n’a jamais réussi à se défaire totalement de sa réputation de briseuse de mariage. La sixième saison est donc attendue avec nervosité par les proches de la royauté – la famille, elle, n’a jamais commenté la série. Laura Clancy explique : «Diana était une figure emblématique de la famille royale et plus largement de l’imaginaire national britannique (…) Elle existe dans un espace au-delà de la représentation royale (et) restera longtemps un moment déterminant dans l’histoire de la monarchie.»
Les premières révélations sur une apparition de Lady Di en fantôme ont déjà déclenché des réactions indignées et des accusations de manque de respect. Dans le magazine Variety, le créateur de la série, Peter Morgan, a réfuté avoir voulu la montrer en «fantôme au sens traditionnel» : «Ce qu’on voit, c’est qu’elle continue à vivre dans l’esprit de ceux qu’elle a laissés derrière elle. Diana était unique (…), elle méritait un traitement spécial sur le plan narratif.»
«Inventions» du scénario
C’est loin d’être la première fois que The Crown se trouve sous le feu des critiques. Au fil des saisons, la série a été accusée d’avoir suggéré des infidélités de la reine et de son époux Philip, d’avoir montré l’actuel roi en mari volage ou encore d’avoir prêté à Charles la volonté de voir sa mère abdiquer dans les années 1990. Le photographe Arthur Edwards, qui couvre pour le tabloïd The Sun la famille royale depuis 40 ans, a confié avoir dû arrêter de regarder la série après deux saisons, trop énervé par les «inventions» qui émaillent le scénario. Outre les inexactitudes, «ce qui m’agace vraiment, c’est la manière affreuse avec laquelle le programme traite le prince Charles, désormais notre roi». Laura Clancy note, pour sa part, que la série est aussi arrivée à un moment «tumultueux pour la monarchie», avec le mariage du prince Harry et de Meghan Markle, les scandales sexuels autour du prince Andrew, et la mort du prince Philip et de la reine. «Cela a bouleversé le statu quo sur la monarchie et l’a ramenée dans l’imagination du public», analyse l’experte.
Netflix s’est résolu l’an dernier à ajouter un avertissement précisant qu’il s’agissait d’une fiction, sans apaiser pour autant toutes les critiques. Pour l’historien spécialiste de la royauté Ed Owens, la série a eu une influence importante sur l’image de la famille royale, «surtout auprès des jeunes» qui sont nombreux sur Netflix et n’ont pas vécu eux-mêmes les événements relatés. «Ils prennent ce qu’ils voient dans The Crown pour la vérité», estime-t-il, soulignant que la série a renforcé l’image positive de dévouement d’Elizabeth II. En revanche, selon lui, si le roi actuel reste peu populaire, «c’est en partie parce que Charles n’est pas présenté de manière très positive» dans la série.
The Crown (saison 6), de Peter Morgan. Sortie jeudi. Netflix.
Six saisons de controverses
En six saisons, The Crown a été souvent accusée de prendre des libertés avec la vérité historique, de plus en plus controversées au fur et à mesure que la série se penchait sur des événements récents.
L’amour déçu de Margaret
La première saison, centrée sur l’accession d’Elizabeth II au trône, en plein voyage au Kenya en 1952, est considérée comme relativement fidèle à l’histoire. Principal événement disputé : la relation de la sœur de la reine, Margaret, alors âgée de 22 ans, avec un homme divorcé. Selon la série, la souveraine s’oppose au mariage alors que des historiens estiment que les intéressés y ont renoncé d’eux-mêmes.
Un époux volage
Dans la saison 2, Philip, l’époux de la reine, part pour un mois en mer à bord du yacht Britannia, l’occasion de suggérer des infidélités – jamais confirmées. La reine retrouve ainsi dans ses affaires la photo d’une ballerine russe. Ces tensions maritales sont présentées comme l’une des raisons pour lesquelles le duc d’Édimbourg recevra le titre de prince.
Les liaisons dangereuses
La série suggère une romance, dans sa troisième saison, entre la reine et l’entraîneur de ses chevaux de course, Lord Porchester. «Mauvais goût», fulmine l’ancien chargé de presse d’Elizabeth II, Dickie Arbiter. Cette histoire intime s’entremêle avec un supposé complot en 1968 pour renverser le Premier ministre travailliste Harold Wilson, impliquant l’oncle du prince Charles, Lord Mountbatten. Si des discussions ont bien eu lieu, les historiens jugent peu crédible cette version du récit.
L’épouse délaissée
Avec les années 1980 vient le sujet brûlant du mariage de Charles et Diana. Sortie alors que l’héritier prenait un rôle de plus en plus important avec le déclin de la santé d’Elizabeth II, la quatrième saison était sous le feu des critiques des chroniqueurs royaux. Lady Di est présentée comme une jeune mariée esseulée, tombant dans la boulimie car délaissée par un époux froid et infidèle, toujours épris de son amour de jeunesse, Camilla. En outre, les journalistes politiques relèvent des inexactitudes dans le récit des tensions – bien réelles – entre le palais et Margaret Thatcher.
L’abdication
Sortie deux mois après la mort d’Elizabeth II, la cinquième saison aborde une période tourmentée pour la famille royale. Elle est attaquée pour avoir montré Charles suggérant à sa mère d’abdiquer. «Un tonneau d’absurdités», «une fiction dommageable et malveillante», s’étrangle John Major, Premier ministre de l’époque, lui aussi dépeint dans cette saison. Bien réel, en revanche, ce sondage de 1991 où la majorité des Britanniques s’est dite favorable à une abdication.
Le fantôme de Diana
La dernière saison de la série se penche sur l’événement le plus explosif du règne d’Elizabeth II : la mort de Diana dans un accident de voiture, à Paris. La «princesse du peuple» reste une icône pour les Britanniques et sa disparition un traumatisme.
La morale de l’histoire:
« Si non e vero, e ben trovato ».