Respect.lu, qui lutte contre les formes de radicalisation violente, organise son colloque annuel depuis mercredi jusqu’à aujourd’hui à Belval. L’occasion de parler du lien entre religions et extrémisme.
Un catholique, un musulman et un juif sont assis autour d’une table et discutent tranquillement les uns avec les autres. Si cela sonne comme le début d’une histoire drôle, dans la réalité, une telle rencontre, apaisée de surcroît, semble illusoire, tant la guerre entre le Hamas et Israël échauffe les esprits depuis un mois. Pourtant, mercredi, à Esch-Belval, à l’initiative de Respect.lu, une table ronde réunissait le prêtre catholique Jean Ehret, le chef de culte musulman Hilmija Redzic et le rabbin Alexander Grodensky, tous trois de mouvance libérale. L’humaniste Florian Chefai de la Fondation Giordano Bruno et la chargée de direction de Respect.lu, Karin Weyer étaient aussi présents. Ils étaient là pour débattre d’un thème décidé de longue date par le centre et qui se voulait un brin provocateur, tout du moins dans son intitulé : «Dieu e(s)t radicalisation ?!».
Une question qui de prime abord ne paraît pas concerner le Grand-Duché. Selon les derniers chiffres du Statec, les Luxembourgeois ne sont plus que 18 % à penser que la religion est plutôt importante, alors de là à se radicaliser… Pourtant, les cas de radicalisation religieuse existent. Parmi la soixantaine de personnes adressées au centre en 2022 par les familles, la police ou les écoles, quelques-unes sont dans ce cas. «Au Luxembourg, explique Karin Weyer, il y a ceux qui utilisent la religion comme prétexte de radicalisation», mais il y a d’autres personnes «qui cherchent un sens à leur vie et entrent en contact avec des mouvances religieuses radicales». Souvent, le contact se fait via les réseaux sociaux et «les personnes se radicalisent par ce biais».
Des écrits saints aux textes violents
Pour les représentants des trois communautés religieuses de mouvance libérale, il s’agit là de personnes qui ont une mauvaise interprétation des textes sacrés, c’est même, pour Hilmija Redzic, «une façon malhonnête d’utiliser la religion». Karin Weyer est en désaccord : «Lorsque je suis en contact avec des personnes radicalisées, elles me disent que ce sont les autres qui ont une mauvaise interprétation des textes fondamentaux»… «Personnellement, confie-t-elle, je dirais que le potentiel de radicalisation est dans la religion.» Il suffit de lire les textes fondamentaux, comme l’explique Florian Chefai, et le constat est là : même si des passages entiers parlent d’amour et de compassion, l’on trouve des épisodes violents dans tous les écrits. «C’est un peu comme dans une épicerie, poursuit Karin Meyer, je peux prendre un peu par-ci, un peu par-là.»
L’une des solutions pour lutter contre la radicalisation sur laquelle les participants tombent d’accord consiste à proposer une interprétation historique ou critique des textes religieux : «Il faut travailler sur les textes fondamentaux, comme on travaillerait sur ceux de la Constitution, explique Florian Chefai, les contextualiser et voir ce qu’ils peuvent nous apporter aujourd’hui». Quant à empêcher une radicalisation via les réseaux sociaux, là tous semblent démunis. «Je n’ai pas envie d’être un influenceur», plaisante Alexander Grodensky, tandis que chacun reconnaît que rien ne vaut le face-à-face pour dialoguer.
Une déradicalisation possible
Dans les locaux du centre, les équipes suivent des jeunes et jeunes adultes radicalisés essentiellement par l’islam. Dans certains cas, le temps arrange les choses : «La radicalisation, reprend la chargée de direction, c’est aussi une focalisation sur le religieux et à un moment donné, en devenant adulte, il faut s’ouvrir au monde. On fait des études, on travaille et on a une famille, etc. La religion peut faire partie de tout cela, mais sa place est moindre.» Déradicaliser, c’est d’abord «un travail de longue haleine» dans lequel le lien social est nécessaire. Et qui s’effectue parfois avec l’aide de l’un ou l’autre représentant des religions.