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Henri Tudor, le père de l’électricité au Grand-Duché


Encore étudiant, Henri Tudor, aidé par son frère et son cousin, s’illustre à Rosport par la mise au point d’accumulateurs au plomb fiables, une technologie jusqu’alors balbutiante.

Depuis Rosport, Henri Tudor a fondé un empire industriel grâce à ses accumulateurs au plomb, tout en mettant au point les premiers éclairages électriques publics et privés du pays.

Quatre siècles après son homonyme, le fameux roi d’Angleterre, le Luxembourgeois Henri Tudor inscrit, lui aussi, son nom dans l’histoire, car il est fort à parier que le confort qui nous entoure ne serait pas le même sans lui. Ingénieur, inventeur et industriel, le Rosportois a notamment créé la version industrielle d’accumulateurs au plomb sous forme de batterie rechargeable.

Une avancée majeure pour le réseau électrique et intemporelle, puisque encore utilisée pour nos téléphones, fers à repasser, machines à laver ou nos télévisions. Comme d’autres inventeurs luxembourgeois, son héritage demeure méconnu, bien qu’un musée lui soit dédié à Rosport.

Par honnêteté, João Martins, responsable du musée Henri-Tudor, précise que «c’est un Luxembourgeois pas vraiment né au Luxembourg, mais on le considère comme tel». Si sa mère naît à Rosport et qu’il y habitera aussi, lui voit le jour le 30 septembre 1859 à quelques kilomètres, dans la commune allemande d’Echternacherbrück, qui jouxte la frontière.

Un pied au Grand-Duché et l’autre en Allemagne, le jeune Henri file ensuite en Belgique afin de suivre ses études secondaires à Chimay, comme ses frères Hubert, son futur associé, et Robert, le futur bourgmestre de Rosport. L’élève est alors en internat, puisque sa famille est «toujours sur la route» dans les pas du père, un ingénieur agronome employé de ferme en ferme.

Inventeur avant d’être diplômé

Encore en études d’ingénieur civil à l’École polytechnique de Bruxelles, Henri Tudor n’attend pas d’être diplômé avant de faire la découverte d’une vie. Passionné par l’électricité – «pendant ses études, il passait ses vacances à s’intéresser à l’électricité» –, le jeune Henri reprend les travaux du physicien Gaston Planté et du chimiste Camille Alphonse Faure. Le premier avait inventé un modèle expérimental, amélioré en 1880 par le second, d’un accumulateur au plomb en tant que batterie rechargeable.

Accompagné par son frère Hubert ainsi que son cousin et mentor Nikolaus Schalkenbach, l’étudiant tente de corriger les nombreux courts-circuits du modèle et la rapide désagrégation des plaques qui empêche la batterie d’être rechargeable. «Ils travaillaient sur la maison parentale à Rosport afin d’y mettre des ampoules électriques.»

Alimenté par la rivière qui coule près de la maison, le réseau reste balbutiant, car dépendant du débit du cours d’eau. «Alors, ils ont cherché à disposer d’une batterie qui puisse se charger et se décharger pour rendre la lumière constante.»

Echternach, la pionnière

Lié par le sang et son ingéniosité, le trio mené par Henri parvient à créer une batterie durable, contrairement au modèle expérimental, grâce à ses propres plaques d’accumulateur. La réussite est telle que le premier prototype lancé en 1882 fonctionnera pendant cinq ans.

Rapidement, l’accumulateur Tudor se fait un nom, et avant même d’être breveté en 1886, l’invention attire à Rosport un représentant de la société électrotechnique Spiecker basée à Cologne. Conquis, l’agent commercial allemand attend tout de même l’installation test d’un réseau d’éclairage public électrique à Echternach.

Aussi jeune que doué, Henri Tudor confirme les espoirs placés en lui et, en 1886, «Echternach devient l’une des premières villes d’Europe, avec Paris et Berlin, à disposer d’un éclairage public électrique».

«On l’a quand même un peu oublié»

D’abord haut lieu d’expériences, Rosport gagne ensuite le statut de «ville de naissance de l’électricité au Grand-Duché» lorsque la société «Tudor Frères et Schalkenbach» y installe son atelier de fabrication d’accumulateurs pour Echternach. Afin d’abriter des machines à vapeur, la société utilise, en partie, l’abbaye de la commune. «Ces machines faisaient du bruit et, comme il y avait encore des sœurs, il fallait les éteindre la nuit, car ça les empêchait de dormir.» Pas de quoi empêcher la machine de se lancer.

En 1889, 150 batteries stationnaires Tudor étaient en service à travers l’Europe, avant que leur nombre soit multiplié par huit en deux ans (1 200). Un succès entaché par la fermeture de l’usine mère à Rosport causée par des droits de douane excessifs sur les entrées de plomb.

Déjà un ingénieur averti, Henri Tudor n’est pas en reste en tant qu’industriel, puisqu’il délocalise rapidement son activité à l’étranger. Au total, 18 sociétés liées par rachat ou association à Tudor voient le jour en Europe, dont l’Accumulatoren-Fabrik Aktiengesellschaft (AFA), qu’il fonde avec Siemens & Halske et AEG, deux géants de l’électrique.

Malgré cette réussite continentale, le Luxembourgeois n’oublie pas Rosport qui a perdu son atelier. Pour compenser cette perte d’activité, l’ingénieur réalise le plan, abandonné faute de capitaux, d’un barrage hydroélectrique sur la boucle de la Sûre qui longe le village.

La fin de sa vie est notamment marquée par l’AFA qui, contre son gré, incorpore et dirige ses diverses sociétés au fil des années. Un combat qu’il doit mener au moment où il est touché, dès 1914, par une intoxication due aux vapeurs de plomb. Quatorze années plus tard, Henri Tudor décède après une vie dévouée à son travail et sa passion, jusqu’à risquer sa vie.

En 1928, l’année de son décès, 25 000 ouvriers travaillent sur des produits Tudor. «Après la Seconde Guerre mondiale, on a quand même un peu oublié Henri Tudor et ce qu’il a apporté», note João Martins, «notamment en raison de procès dans la famille qui ont éclipsé son héritage».

C’est seulement après les années 1970 que les recherches d’un enseignant de Rosport commencent à réinstaller sa réputation : «Petit à petit, son nom est réapparu, comme avec le centre de recherche public qui portait son nom. Et certains visiteurs âgés du musée se rappellent quand même les batteries Tudor.»

Il s’agit ici du deuxième volet d’une série de trois articles dédiés à des inventeurs luxembourgeois, publiés chaque mardi. Après Gabriel Lippmann la semaine dernière, la série se poursuivra avec Guillaume Kroll, dans l’édition du 7 novembre.